La ferme aux professeurs : Journal d'un stagiaire
de François Vermorel

critiqué par AmauryWatremez, le 29 février 2016
(Evreux - 55 ans)


La note:  étoiles
conte pédagogique
Chaque année à la ferme, plusieurs poulets et poulettes rêvaient de connaître la gloire de devenir des bêtes à concours afin d'aller au Salon de l'Agriculture, de bons volatiles pouvant à leur tour ensuite apprendre aux petits poussins à gratter le sol de la basse-cour pour trouver de quoi se nourrir, à devenir de bons et gros poulets nourris au grain, le cuissot ferme et charnu, ainsi que de bonnes poules pondeuses consciencieuses dont le fermier serait content donnant des œufs au blanc bien blanc et au jaune bien jaune.

Et qui sait ?

De nouvelles bêtes à concours aux plumes éclatantes de santé récompensées d'une médaille par Monsieur le ministre de l'Agriculture lui-même.

Ces poulets et poulettes se faisaient beaucoup d'illusions. Ils croyaient encore fort naïvement qu'ils s'agissaient de transmettre les connaissances de tous les sages volatiles présents bien longtemps avant leur naissance. Il s'imaginaient déjà pris en photo avec leurs classes de poussins, fiers de tout ce qu'ils leur avaient appris. Foin de tout cela, ils déchantèrent bien vite quand ils virent arriver ceux qui avaient la tâche après tout honorable de les préparer à devenir de bons professeurs.

La première était une vieille poule au plumage dégarni par endroits, le bec revêche, sa bien maigre peau tendue sur des os que l'on entendait cliqueter lorsqu'elle marchait. Elle n'avait jamais eu les faveurs d'un coq, n'avait jamais élevé de poussins, se contentant finalement de vanter les mérites de l'élevage en batterie qui au moins était égalitaire : tout le monde le même espace, la même nourriture, les mêmes perspectives d'avenir. Elle n'avait bien entendu jamais quitté la ferme, n'avait jamais vu le vaste monde, ce qui de toutes façons ne l'intéressait pas.

Et ce contrairement à une jeune poulette avec qui elle travaillait en théorie de concert. Cette jeune poulette, presque aussi âgée que ses élèves, insista très vite sur le fait que dorénavant il ne fallait surtout pas encourager forcément les poules à devenir de bonnes pondeuses et les poulets de beaux coqs. Selon elle, une poule pouvait avantageusement tenir le rôle du chanteclerc et un poulet pondre des œufs. Elle s'évertuait à apprendre l'une et l'autre chose à ses étudiants avec passion. Elle se dressait alors comme sur ses ergots et gonflait d'importance ses ailes ne lui servant pourtant pas à grand chose.

Parmi les poulets et poulettes présents, la plupart notaient tout caquetant ensuite gravement alors que deux ou trois oiseaux plus rares suggéraient il faut bien l'avouer avec mauvais esprit qu'elle développait ses théories car elle aussi n'avait pas eu l'heur de plaire à un coq ou un autre. Ils critiquaient aussi le coq lui aussi un rien déplumé de la ferme censé les aider non pas à transmettre leur savoir ainsi qu'ils le croyaient à l'origine mais à aider les poussins à découvrir eux-mêmes ce qu'il fallait faire pour réveiller la basse-cour, la ferme et le village dès le lever du soleil, donner de bons œufs pour les omelettes de la fermière.

Le vieux coq n'avait jamais quitté la ferme non plus, le fermier et la fermière le gardaient car il amusait leurs filles Delphine et Marinette car c'était elles. Avec ses deux comparses, ils décidèrent d'intégrer à leur classe un agneau venant de naître et un petit porcelet tout rose et luisant d'espoir d'être enfin reconnu de ses pairs animaux. Le petit agneau avait vaguement manifesté l'envie de pondre des œufs, le petit cochon de chanter le matin à potron-minet.

Le chat les observait en souriant derrière ses moustaches, et le fermier venait discrètement constater leurs progrès chaque jour. Puis un jour vint le moment de remettre leur diplôme aux poulets et poulettes et de les envoyer en mission avec leurs poussins. Le fermier vint alors les chercher en personne, excepté les trois volailles récalcitrantes qui s'étaient méfiées et avaient trouvé asile dans le coffre à jouets des deux petites filles du paysan. Il les emmena vers le grand bâtiment tout neuf qu'il venait de faire construire à côté de sa grange.

Sur la porte, un des poussins parvint non sans difficultés à lire « abattoir » mais fut entrainé par le reste de la petite troupe bien malgré lui. Les poulets et poulettes furent délicieux avec des pommes, au four, au mariage du cousin Eusèbe célébré quelque temps plus tard dans la cour de la ferme...