Le printemps de la liberté
de Nangala Camara

critiqué par Cyclo, le 10 mars 2016
(Bordeaux - 79 ans)


La note:  étoiles
ode à la liberté
Nangala Camara, dans "Le printemps de la liberté", nous narre l'histoire de Wonouplet, jeune étudiante. Elle est l'espoir de ses parents qui se serrent la ceinture et espèrent s'en sortir grâce à ses études. Mais elle aspire tout naturellement à la liberté, et en particulier de pouvoir choisir son amoureux. Mais les traditions sont là et la pression sociale est très forte dans un monde extrêmement machiste.
Pendant son retour en taxi collectif pour les vacances scolaires, elle se laisse envoûter par le regard triste d'un jeune barbu, Pessa, poète passionné de jazz, dont les œuvres poétiques, considérées comme subversives par le pouvoir en place, sont diffusées sous le manteau dans le campus universitaire. La passion va naître entre les deux jeunes gens et, au contact de Pessa, Wonouplet devient une militante et refuse d'entrer dans le jeu de la corruption et des compromissions (notamment elle combat les assiduités d'un ministre en vue qui collectionne les jeunes filles en fleurs et voudrait l'ajouter à son tableau de chasse).
Roman dénonciateur des manigances des gouvernants et potentats locaux de tous niveaux (jusqu'à un de ses professeurs qui attire Wonouplet chez lui et la viole quand elle a treize ans !) et des sbires à leur service : "Les tenants de ce système monopolisent tous les pouvoirs au point de commander à la conscience des citoyens. Ils ont usurpé et confisqué les supports "médiatiques" qu'ils utilisent à leur seul profit pour violer la conscience collective. Ils règnent sur ces supports sans partage, avec arrogance et omnipotence. Ils en usent pour se faire encenser par leurs thuriféraires au mépris de tous".
Wonouplet réalise que l'exploitation des richesses naturelles du pays "échappe complètement au contrôle du peuple par le fait de dangereux transfuges qui ne sont ses concitoyens que par la couleur de la peau". Elle a bien conscience "qu'on se leurre en osant croire que l'humanité tend vers des lendemains meilleurs, enchanteurs. Il y aura toujours des hommes qui en imposeront à d'autres hommes par la force brutale et imbécile des armes".
Et ce n'est pas les Nations Unies qui vont changer les choses : "Qu'on ne vienne pas seriner à Wonouplet qu'il existe un droit international qui préside aux relations entre nations du monde et garantit le droit de chaque peuple à disposer de lui-même. Les plus forts économiquement et militairement se sont attribué des prérogatives qui choquent l'entendement. Ils décrètent les lois, les interprètent, les enfreignent, selon leur bon vouloir, au gré de leurs intérêts et de leurs appétits voraces. Comble d'absurdité, ils se sont octroyé un droit de veto dont ils usent selon leurs fantaisies et leurs convenances".
Les étudiants pensent que leurs concitoyens "sont maintenus dans un tel obscurantisme qu'ils ne peuvent prendre conscience de leur condition d'êtres humains ni de leur environnement. Le système a fait d'eux des zombies modernes. Tous bavent après les miettes qu'on leur jette avec parcimonie". Ils finissent par se révolter...
Roman donc du désenchantement de la jeunesse, privée d'avenir par la caste au pouvoir, et par tous ceux qui gravitent autour pour récolter des "miettes". Mais aussi roman de l'espoir et de la révolte, de la dénonciation du machisme ambiant et de l'exaltation de la liberté de la femme. Et aussi voyage dans le monde de la musique négro–américaine qu'affectionne particulièrement Pessa, Miles Davis, Billie Holiday, Louis Armstrong, Bessie Smith, etc.
Un roman qui nous élève, qui nous transporte et nous rappelle les heureux moments de mai 68, dans un tout autre contexte. J'en suis sorti enthousiasmé !