Victor Hugo vient de mourir
de Judith Perrignon

critiqué par Hcdahlem, le 20 mars 2016
( - 65 ans)


La note:  étoiles
Victor Hugo vient de mourir… une affaire d'Etat
La mort de Victor Hugo survient le 22 mai 1885 à son domicile «au 50 de son avenue». Outre le fait que l’écrivain est sans doute le seul de nos auteurs à pouvoir habiter une avenue qui porte son nom, un seul chiffre permet de se rendre compte de l’ampleur de l’événement que Judith Perrignon a choisi de nous retracer : deux millions de personnes suivront son cercueil jusqu’au Panthéon.
Voici donc le journal de l’agonie, de la mort et des funérailles de ce monument de notre littérature.
Grâce à un travail de documentation impressionnant, on vit intensément ces journées. La plume de l’auteur restitue aussi bien l’intimité des proches, le chagrin des petits-enfants, le souci du gendre qui veut préserver les intérêts de la famille, mais aussi l’embarras du gouvernement ou encore les prises de position des anarchistes. Aux descriptions factuelles, le choix du roman permet de donner vraiment chair à la secousse qui a traversé tout le pays. Grâce à la précision des descriptions, le lecteur est très vite happé par l’intensité, la force, l’émotion qui submerge tout : « Paris est un corps fiévreux tandis que le poète lutte contre l’attraction de la terre. On dirait qu’en mourant, qu’en glissant vers l’abîme, il creuse un grand trou et y aspire son temps, sa ville. Comme dans ses livres. »
Au sommet de l’Etat, la police politique est sur les dents. Tous les agents de renseignements sont chargés d’infiltrer les représentants de l’opposition, afin d’éviter que les funérailles ne se transforment en un défilé de protestation rouge et noir. L’enterrement est fixé au lundi, afin que les ouvriers ne puissent accompagner le cercueil. Les drapeaux rouges et les banderoles sont interdits. Gauchistes et anarchistes voient leurs beaux idéaux et leurs propositions être étouffés dans l’œuf. Pourtant, leurs revendications sont bien légitimes : « Appelons à nous tous les gens en guenilles pour suivre le convoi et frapper la bourgeoisie d’épouvante ! Nous pourrions avoir une bannière et y inscrire "Les Misérables", nous la donnerions à porter par les individus en haillons qui crieraient "du travail ou du pain " ! Il s’appelle danger celui qui a parlé. Ça ne s’invente pas un nom pareil. »
Même mort, Hugo continuera d’influer sur la politique. Lui qui a toujours proclamé ne pas vouloir d’obsèques religieuses, donnera au panthéon son actuelle vocation. La «proposition de loi relative au chapitre métropolitain des chapelains de sainte-Geneviève et au Panthéon» présentée en 1881 à l’Assemblée sera mise en œuvre à cette occasion. Au petit jour, les ouvriers sont chargés de démonter la croix qui orne l’édifice. La fièvre continue toutefois de monter. Du coup la stratégie change : « On va rassembler tout le monde derrière Hugo, dresser tant de couronnes, de discours, de lauriers, qu’il étouffera sous l’hommage. On va enterrer le songe avec le songeur.» Du moins, c’est ce que l’on imagine alors dans les hautes sphères de la IIIe République.
Car la ferveur, telle une immense vague, va tout emporter. «Paris s’épanche tous les dix ou vingt ans, s’offre de grandes émotions, politique, funéraire, littéraire, révolutionnaire. Paris se prend pour le centre du monde, le cerveau de l’Europe, Paris se prépare à une longue nuit de veille qui sera suivie d’un grand jour, Paris enterre celui qui l’a aimé et réciproquement, alors il y a de la peine, mais aussi la joie secrète d’avoir aimé. Paris offre au poète le culte d’ordinaire dévolu aux despotes, aux empereurs et aux rois, il était le souverain des mots, de l’imaginaire. »
On ne remerciera jamais assez Judith Perrignon de nous offrir de revivre ce grand moment. Si vous avez – comme moi – manqué ce roman à sa sortie, il serait vraiment dommage de passer à côté.
http://urlz.fr/3gH4
Curieux, intéressant, divertissant, historique 7 étoiles

Victor Hugo vient de mourir. Rien que ce titre a suscité ma curiosité et la quatrième de couverture mon intérêt. Un homme dont la vie a donné l’occasion de produire nombre d’œuvres littéraires qui impressionnent tant par la quantité et leur qualité ne peut qu’intéresser à ce qui s’est passé à son décès. Je l’ai donc acheté. Je ne l’ai pas lu tout de suite, mais enfin, voilà c’est fait, environ 1 an après l’achat. Que voulez-vous, je ne suis plus de ces lecteurs de la catégorie « aussitôt acheté, aussitôt lu » ! La vie qui passe se charge de changer vos habitudes…

Bref, revenons à ce Victor Hugo qui vient de mourir, et dont Judith Perrignon nous retrace l’histoire romancée et plausible (et peut-être totalement vraie) de l’avant, du pendant et de l’après de ce décès célèbre. On sent clairement qu’il y a eu derrière, un important travail de documentation qui a été fourni et qu’il faut saluer et que l’auteure nous restitue sous cette forme romancée, ce qui est une bonne idée.
C’est mignon, c’est gentillet, c’est doux, ça c’est le style de l’auteure, ce qui ne l’empêche pas de parvenir à nous intéresser aux événements autour de cette mort d’un homme hors du commun, et dont personnellement je suis fan de ses poésies, un peu moins de ses romans.

Tout est bien condensé, homogène, sans fausse note, le tout conté sur un certain ton divertissant, léger sans occulter la gravité du sujet principal et des sujets annexes (la guerre de 1870 et la Commune de 1871, les déportations à Cayenne et en Nouvelle-Calédonie, le massacre du cimetière du Père-Lachaise, etc).

Ce qui divertit et même rend perplexe, dans la narration, est ce qui nous apparaît comme des curiosités et des bizarreries de l’époque, la querelle entre l’Eglise et les Républicains (la séparation de l’Eglise et de l’Etat n’avait pas encore lieu à cette époque) ; les anarchistes et révolutionnaires qui étonnent par leur facilité à user de la violence mais qui seront désarmés au moment des funérailles de Hugo, autant par la police que par le découragement devant la ferveur populaire autour de la dépouille du grand homme ; la police qui nous fait sourire (et effarer) par sa propension à tout surveiller de manière excessive avec son armée de mouchards à l’occasion de ces funérailles nationales (mais en a-t-il été différemment pour celles de Johnny Hallyday à notre époque ?).

Enfin le livre nous fait découvrir une galerie de personnages hauts en couleurs de l’époque et qui ne sont pas la partie la moins intéressante, notamment pour l’entourage proche et intime de l’écrivain, et qui sont, chacun à leur façon, parfois drôles, parfois tristes, parfois graves. C’est aussi l’occasion de découvrir d’autres faces du génial Hugo, peut-être moins connues et moins reluisantes, pas moins humaines.

Un livre fait pour découvrir, pour s’étonner, pour s’instruire, pour se dépayser, un livre sur un fait historique qui a bouleversé la France.

Cédelor - Paris - 52 ans - 7 septembre 2018