Les seigneurs du Ponant
de Muriel Cerf

critiqué par Catinus, le 3 avril 2016
(Liège - 73 ans)


La note:  étoiles
Une splendeur !
Les Seigneurs du Ponant de Muriel Cerf ( ponant, étant l’antonyme de levant) sont les barons Enguerrand de Combelles, en Bourgogne. Et singulièrement, le baron Rigaud Enguerrand de Combelle, madame mère et leur fille Dauphine. Escortés par la fidèle gouvernante, Andrée.
Mais il faut vendre le château. « Le château, comme la petite, souffrait de décalcification, de pyorrhée, d’épanchement de synovie, de déchaussement, il fallait donc, malgré le courroux des ancêtres croisés, pestiférés ou guillotinés, vendre aux offrants, bourgeois qui maintenant mangeaient de la brioche fourrée de ris de veau. (…) ».
C’est le Juif Isaac Klotz qui fit l’affaire, jurant de respecter, au mieux, les lieux. Et voici nos barons, « M. de Combelles, abandonnant leur hutte féodale pour la résidence parisienne – rue de la Faisanderie- , une bagatelle de six cent cinquante mètres carrés, un chouïa moins froide que leur palais des vents. »
Katia Oblonsky, pseudo comtesse russe, et Toussia Kouvarine, conducteur de taxi parisien, vont mettre le grappin sur nos seigneurs déjà passablement ruinés. Sous le choc, Passerose de Combelles, n’en survivra pas et Rigaud quittera ce bas monde suite à un fâcheux et mortel accident en Mercedes. Dauphine, devenue jeune-mère, suivra le sillage d’un parfum, « le numéro Cinq » de Chanel qui la draina derrière une inconnue sur quelques kilomètres et occit ses idées suicidaires.

On peut comparer l’écriture, le style de Muriel Cerf à un fantastique tsunami . Dès les premières lignes, elle vous entoure, vous submerge, vous bouscule, vous trouble. Parfois, vous perdez pied, vous ne savez plus où vous en êtes ; il vous arrive d’être presque désespéré, puis vient une gigantesque bouffée d’oxygène qui vous réanime et vous redonne des couleurs.
En quatrième de couverture, ces quelques mots piqués çà et là auprès de critiques littéraires :
« Muriel Cerf a beaucoup de talent. Comme elle a un regard de mouche, elle voit de tous les côtés en même temps. (…) Elle compose de longues phrases opulentes, dont on croit perdre le fil et qui retombent par miracle sur leurs douze pieds. Elle saupoudre enfin son texte d’une ironie qui procède de Giraudoux. »
« Pour parcourir ainsi le monde, il faut être poète : Muriel Cerf l’est. »
« Cette écriture n’est pas littéraire. Elle est spectacle. Muriel Cerf nous donne à lire un spectacle. »


Extraits :
- PP 24-25 La petite dame à l’air d’institutrice qui se biture convenablement sur mon zinc deux fois par jour, s’exclama le patron. Au chablis, uniquement. Elle se pinte au ballon de chablis, regarde à peine les gars qui lui adressent la parole, prend un air d’impératrice, sort en titubant, ivre morte, ne pèse pas quarante kilos, j’ai toujours peur qu’un camion ne la renverse au carrefour de la rue Réaumur. On la voit se pinter régulièrement depuis un mois. Elle doit habiter le quartier. Mais impossible de lui tirer un mot. Gaie comme le fantôme de l’Opéra. Un soir, pourtant (au garçon de Casablanca qui devait mater sérieusement la frêle blonde, un type très porté sur la pâleur à cause du complexe pied-noir) AHMED ! elle nous a bien raconté qu’elle était baronne, ouiche baronne, mézigue c’est Bokassa lui ai-je répondu, elle est partie très triste et du coup le lendemain je lui ai offert son ballon de blanc, après tout elle m’a l’air d’un aristo dans la dèche et je n’avais sans doute pas tort, du moins en ce qui concerne la présumée baronne, sinon, n’ayant aucun problème d’identité, je suis absolument certain de ne pas m’appeler Bokassa.

- PP 81-82 Dauphine rêvait très fort, en belles, opulentes métaphores, et récoltait à l’école des notes catastrophiques, encouragée dans son étude marginale de l’histoire et de la géographie par des parents épouvantés par les assertions blasphématoires des livres de classe qui mériteraient, selon Monsieur père, un autodafé auquel on aurait dû joindre le corps enseignant atteint de scorbut gauchiste. Cela dit, il ignorait ce qu’était la gauche, ne voulait rien savoir de la droite, et s’en tenait à la ferme opinion qu’il ne devait pas en avoir.

- PP 87-88 Son frère, évêque de Cambrai, comptait dix-sept bâtards et les convoquait tous pour servir la messe, la vue de cette assemblée le mettait en joie. Monsieur donc troussa jadis les solides, denses, crémeuses Bourguignonnes, promptes au signe de croix avant la chose et à la confession après, bien qu’elles n’eussent rien à confesser n’ayant pas commis le crime de refuser cette bagatelle au baron qui en tirait des satisfactions enfantines comme l’ensemble des hommes auxquels ce moment est si précieux.

- P 107 Sainte Solange, patronne des célibataires.

- P 156
Le bus, disait la baronne d’un ton accablé, il faudra bien se faire au bus qui est à l’air libre donc moins dangereux, quand tu entreras à l’institut Sainte-Marie. Faute de transport particulier, résolvons-nous au collectif, mais le métro, jamais !

- P 328
La baronne accoucha comme le vulgum , après neuf mois, d’une petite fille chiffonnée comme un trognon de rose, mais qui offrait un cou et des attaches visibles, au lieu d’aspect cylindrique redouté, bâtarde de Bourgogne, ne semblait pas trop dégénérée, sauf que son redoutable système d’alarme poussa sa mère, au paroxysme de la muette démence, à se jeter sous un bus de la ligne de la Petite ceinture qui ne l’écrasa pas car d’impitoyables péquins la rattrapèrent au vol. La baronne décida d’une ère de stakhanovisme, et bravement, officia comme secrétaire d’une maison d’édition qui déposa son bilan dans l’année, peut-être grâce à elle, paratonnerre attirant invinciblement la foudre de Zeus Hypatos et sis le dos crampu à l’entrée. Ella allait essayer le métro, en souvenir des correspondances occultes du Châtelet et de feue sa romance