Le coeur à bout de souffle
de Saul Bellow

critiqué par Tistou, le 5 avril 2016
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Histoire d’intellos, diraient certains …
Une ressemblance certaine, dans la forme, l’esprit, avec la Zadie Smith de «L’homme à l’autographe ». Un roman qui part d’une idée tout ce qu’il y a de plus ténue mais que Saul Bellow parvient à dérouler indéfiniment, à disséquer méticuleusement. Tiens l’analogie suivante me vient à l’esprit, une analogie lue récemment dans « Gataca », de Franck Thilliez (malheureusement je ne vais pas avoir la citation exacte) qui disait en substance que si l’on déroulait le brin d’ADN humain, présent sur 46 chromosomes, la longueur totale serait de 2 mètres. Ce qui ne devient vertigineux que si l’on garde présent à l’esprit que la taille desdits chromosomes est de 1 à 10 microns chacun ! Une véritable bibliothèque conservée dans un filament de 2 mètres lui-même stocké dans quelques millièmes de millimètres. Cette analogie parle-t-elle vraiment au lecteur ? J’ai comme un doute ?
Kenneth Trachtenberg, jeune universitaire américain spécialiste de la littérature russe, a quitté Paris et son père, pour se rapprocher de son oncle Benn Crader, brillant botaniste de Chicago (je vous avais prévenus qu’il s’agissait d’intellos !), aussi savant en botanique qu’inapte à une vie sociale réfléchie et épanouie (nobody’s perfect !).
Il survit donc médiocrement loin du paradis parisien de son père (grand amateur de cuisine et de femmes françaises) pour être proche de Benn, pouvoir échanger avec lui et surtout le chaperonner.
Hélas, à l’occasion d’un voyage du côté de Djibouti pour aller rencontrer sa mère, volontaire médicale en poste là-bas, Kenneth relâche sa « surveillance » et il retrouve Benn, son oncle, marié ex abrupto à une beauté à l’esprit calculateur et froid, Matilda Layamon. Le pourquoi de ce mariage vu du côté de Matilda est une énigme pour Kenneth qui pressent les ennuis dans lesquels s’est précipité Benn. Oui, si Benn est un savant, il se fait vieux, n’est pas précisément beau, n’est pas riche …, qu’est-ce qui a pu attirer Matilda ?
Je ne vais pas vous le dire, bien entendu. Vous n’avez que 390 pages à lire. Mais dites-vous bien que ce sont d’abord et avant tout 390 pages d’introspection, de réflexions à rebours, qui flirtent avec le vide sur le fil très ténu tendu de ce pitch. Intello ? Oui. Mais je vous l’ai déjà dit.
C’est l’occasion en tout cas pour Saul Bellow de dérouler des mécaniques humaines vieilles comme le monde, de l’ambition démesurée alliée à la rouerie manipulatrice la plus accomplie. Où le savant, homme de l’esprit par excellence, passe vraiment pour une quiche (si je puis me permettre l’expression).
Intello mais pas difficile à lire. Saul Bellow ne fait pas dans l’inutilement compliqué ou ampoulé. Mais introspectif en diable, ça oui !