Le don de Humboldt de Saul Bellow

Le don de Humboldt de Saul Bellow

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Tistou, le 11 avril 2016 (Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans)
La note : 9 étoiles
Visites : 4 379 

Taillé dans le marbre

Est-ce l’influence de « Pietra viva », de Leonor de Recondo, lu il y a peu, et ses considérations sur les talents de Michelangelo Buonarroti et les carrières de marbre de Carrare ? Mais la lecture du « Don de Humboldt », la manière dont il m’a fallu le lire par petites tranches d’une vingtaine de pages, m’a laissé cette impression d’être confronté à quelque chose de gravé dans le marbre, quelque chose qui ne vous laisse pas d’espace, où il n’y rien à retirer et encore moins à ajouter : un bloc.
D’autant qu’il ne s’agit pas d’une histoire en soi. Quelque chose qui aurait un début, quelque chose qui aurait une fin. Non, c’est un morceau de vie, d’un qu’on pourrait appeler aux USA un loser. Le morceau de vie de Charlie Citrine, écrivain célébré (comme quoi on peut être écrivain célébré et loser ! loser c’est juste un état de fait), qu’on prend en marche et dont on descend à la fin, toujours en marche. Le « train » n’avance pas vite mais il ne s’arrête pas !
La comparaison pourra paraître étrange mais cette lecture m’en a rappelé une autre, qui n’a rien à voir mais qui m’avait fait le même type d’impression, celle de devoir le lire par petits morceaux , la lecture de « Belle du seigneur » d’Albert Cohen !
Nous sommes aux USA, au début du dernier quart du XXème siècle et Von Humboldt Fleisher, un Américain comme son nom ne l’indique pas, vient de mourir. Von Humblodt Fleisher, un poète catégorie « maudit », qui eut son heure de gloire très jeune, mais qui s’est cramé aussi vite, trop en avance sur son temps, trop idéaliste, pas assez matérialiste ? Un peu tout ça probablement. Et Charlie Citrine qui avait quitté son Wisconsin natal (Appleton) pour rejoindre celui qu’il considérait comme le grand poète américain se souvient. Est pris de remords. Se remémore. S’accuse. Il est plutôt loser le Charlie Citrine dans la mesure où il ne sait pas se fixer bornes et lignes de conduite et se fait manipuler, gruger par tout un chacun : l’étrange Cantabile, mafioso au petit pied, Renata, son amoureuse du moment qui lui fait oublier Denise, son ex-femme qui le saigne aux quatre veines dans le cadre de leur divorce, Thaxter, un ami qui lui voudrait bien du bien mais qui le ruine lui aussi à petit feu, … et un paquet d’autres.
Charlie Citrine ne sait pas garder une ligne de vie. Il a eu du succès et est devenu brutalement riche. Il est en passe tout aussi brutalement de tout perdre … Et puis il y a cette mort de Humboldt, qui remplit Charlie de remords, Humboldt qui lui a laissé quelque chose …

Quand l’ouvrage se termine, il n’y a pas de fin. On a passé une tranche de vie en compagnie de Charlie Citrine et celle-ci va continuer, sans nous. Entre temps, il aura fallu absorber, vingt pages par vingt pages ce bloc … taillé dans le marbre de Carrare ! Qui en a la densité au moins.

« Le recueil de ballades publié par Von Humboldt Fleisher au cours des années trente obtint un succès immédiat. Humboldt incarnait précisément ce que tout le monde attendait. Au fin fond du Midwest, moi aussi j’avais attendu, je peux vous le certifier. Ecrivain d’avant-garde, le premier d’une nouvelle génération, il était beau, grand, blond, sérieux, spirituel, il était instruit. Il avait tout pour lui, ce type. »

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