Station atomique
de Halldór Laxness

critiqué par Fanou03, le 2 mai 2016
(* - 49 ans)


La note:  étoiles
Des Dieux et des hommes
Dans les années qui suivent la fin de la seconde guerre mondiale, en Islande, Uggla, une jeune femme originaire des rudes vallées du nord, est engagée comme domestique dans une des plus riches et influentes familles bourgeoises de Reykjavík. Elle va découvrir un nouveau mode de vie et se confronter aux inégalités sociales de son pays.

Œuvre intrigante, assez inclassable, Station atomique se présente à la fois comme un roman réaliste, fortement ancré dans une époque et une aire culturelle, tout en étant imprégné par une forme de rêverie douce, qui n’est pas sans évoquer les contes, avec leurs personnages de légende, mais dans une version joyeusement modernisée. Ce roman très riche, aussi bien sur le fond que sur la forme, parfois bien déroutant aussi il faut le dire, m’a beaucoup plu par son ton original et son universalité.

Station atomique se caractérise par un discours plutôt engagé, sur les questions sociales et politiques, notamment la répartition des richesses. La fracture entre les élites et les classes populaires est remarquablement mise en évidence par la protagoniste principale, Uggla, qui travaille pour une riche famille de la capitale, mais qui va être amenée à fréquenter rapidement la cellule locale du parti communiste. Cela permet à l’auteur, à travers le regard neuf de son héroïne, de se poser toute une série de questions sur le libéralisme économique, les acquis sociaux, l’émancipation des femmes, ou encore le dévoiement de la classe politique. L’inféodation de l’Islande aux États-Unis, concrétisée par l’installation de cette base militaire qui donne son titre au livre est également un des arrière-plans forts du roman, sans oublier le rapport ambigu entre Reykjavík et son arrière-pays.

Le personnage d'Uggla participe de façon centrale à la force du livre. Elle incarne une espèce de candeur et de douceur, mais aussi s’avère posséder une grande force de caractère. Posant un œil certes sans concession sur le monde urbain qui l’entoure, et qu’elle explore, elle juge peu ses semblables, se contentant de leur poser beaucoup de questions. Il émane des descriptions qu’elle fait de son décor quotidien, un très grand humanisme, une bienveillance pudique, mais chaleureuse.

De nombreux passages burlesques, saugrenus, égaient le récit. Cette fantaisie atteint son paroxysme à travers l’apparition régulière de trois personnages dont on ne sait jamais vraiment s’ils sortent de l'imagination d'Uggla ou s’ils appartiennent bien à la vie réelle: son professeur d’harmonium, qui habite dans une étrange petite maison de Reykjavík ("la maison derrière les maisons"); le jeune et beau dieu Brillantine, séducteur et charmant; et enfin Benjamin, le "poète atomique", qui se déplace dans une Cadillac. Les dialogues entre ces trois-là et Uggla sont souvent pleins de non-sens, mais profondément poétiques et toujours rattachés aux grandes questions de l’existence.

Assez éloignés des codes traditionnels du conte, Station atomique, et bien que très moderne dans ses préoccupations, se révèle parfois insaisissable, à tel point qu’on n'en comprend pas forcément toutes les clés. Il nous échappe quand on croit l’avoir cerné. C’est à n'en pas douter la marque des grands romans.