Lettres d'un cracheur d'étoiles
de Alain-Bernard Marchand

critiqué par Libris québécis, le 4 juin 2016
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Laisser sa trace
Cette œuvre étiquetée comme un roman est plutôt un récit classique d’un fonctionnaire quadragénaire qui souhaite laisser sa trace en mourant, telle une étoile éteinte dont le rayonnement est encore visible. Comme Euxode de Cnide, élève de Platon, qui avait rendu compte des mouvements célestes è partir des quarante-sept étoiles qu’il avait identifiées, le héros veut écrire autant de lettres pour se rappeler à la mémoire de ceux qui le suivront.

Le préambule, fort ennuyeux à cause de sa longueur, explique cette intention du protagoniste au moyen d'une allégorie qui transformera ses écrits en système stellaire. Chacun des mots deviendra donc une étoile de sa carte du ciel que les proches pourront consulter pour comprendre le cheminement de sa vie. Ce projet d'écriture forme le fond de cette œuvre. En la lisant, on assiste à la genèse d'un acte littéraire qui veut assurer la résurrection du héros à l'instar de celle d'Osiris, ce dieu égyptien toujours vivant grâce à sa femme Isis. Écrire ne serait-ce pas enrichir la mythologie pour que les liens entre la terre et l'au-delà soient solidement maintenus?

Ce récit, dont le titre indique faussement qu'il s'agit de lettres, n'a rien d'épistolaire. Le héros consigne les événements qui l'ont marqué. La découverte de la grande ourse et de son homosexualité, ses voyages en Grèce, au Tibet, en Corée et ailleurs, son métier de rédacteur pour le Gouvernement canadien, ses amitiés pour une vieille dame et son ami Rémi ont fait de lui l'homme qu'il est. Un homme incarné dont l'esprit n'est pas séparé du corps. Ce récit renoue avec un Moyen Âge plus sensible à l'importance de l'anatomie. Par ses souvenirs, le héros réinvente donc le corps béni de ses jeunes années. Un corps qui, tel un arbre, s'enracine profondément dans le sol, et dont la cime touche les cieux.

Sa philosophie de la vie cache un profond malaise. Par l'écriture, il sublime les rejets dont il a été victime à cause de son orientation sexuelle. Il se crée un monde littéraire qui favorise son acceptation. À partir de là, son passage sur terre doit rester marquant même si la vie l'a fait différent. Par ses lettres, il espère ainsi à l'heure de son dernier souffle devenir, comme une étoile, la traînée lumineuse qui guide les âmes encore errantes. Somme toute, c'est la méditation d'un homme du mitan de la vie, qui revisite son passé en empruntant la peau d'un mourant. Il ne voudrait pas partir sans apporter sa contribution pour aider ceux qui restent. Dans ce contexte, la mort apparaît moins angoissante. Elle termine un cycle pour introduire le moribond au Temple de la renommée comme diraient les amateurs de hockey.

C'est une œuvre positive, parfois floue à cause du langage poétique. L'étude du thème n'atteint pas nécessairement la clarté voulue malgré les repères culturels auxquels réfère l'auteur. Mais il reste que c'est une œuvre intéressante pour qui veut méditer sur la finalité de l'existence humaine.