Le rapport de Brodeck - tome 2 - L'indicible
de Philippe Claudel, Manu Larcenet (Scénario et dessin)

critiqué par Hervé28, le 21 juin 2016
(Chartres - 55 ans)


La note:  étoiles
Vous avez là un futur classique de la bd, c'est grandiose!
Dès la sortie du premier volume, j'avais souligné la beauté des planches, le plus souvent muettes. Changement de registre avec ce second volume, avec des dialogues beaucoup plus nombreux mais le talent de Manu Larcenet reste , heureusement, ici, intact.
Alors que les paysages champêtres étaient légions dans le précédent volume, Larcenet se recentre ici autour de deux personnages, ou plutôt de deux destins, qui, en apparence sont différents, mais qui au final se rejoignent, celui de Brodeck évidemment, et celui de l'autre,dit "l'anderer".
Larcenet, au fil des pages, réussit à nous transmettre une ambiance de plus en plus étouffante de ce village situé, situé où au fait... au cœur d'une Europe meurtrie par une Guerre. Cela pourrait se dérouler en Pologne par exemple.
A travers ce rapport, on en apprend autant sur cet "étranger" que sur Brodeck(et de sa famille), qui n'est pas loin non plus d'être un étranger au village.
Graphiquement Manu Larcenet est ici à son meilleur niveau, encore au dessus de ce qu'il nous avait livré pour "Blast".
Les planches en n&b sont sublimes à tel point que l'on se demande, après le formidable "Blast" et ce diptyque inoubliable, ce que nous réserve l'ami Larcenet l'année prochaine.
Un sentiment étrange me traverse au travers de la lecture de ce second volume. Autant, je n'avais pas envie de connaître la conclusion de ce récit à l'issue du premier volume, en me plongeant dans le roman de Claudel, autant, après avoir lu ce second tome, je pense lire le roman éponyme de Claudel pour voir la plus-value que Larcenet a apportée à ce récit.

Un second volume très sombre, très riche, illustré de façon magistrale, d'après un roman, il ne faut pas l'oublier, de Philippe Claudel... bref une bd indispensable !
J'ai dévoré les deux volumes ce week-end mais je ne cesse d'y retourner pour admirer les superbes planches de Larcenet.

Un album à lire, à relire et à admirer...on est proche du chef d’œuvre, non?


Pour l'anecdote, les éditions Dargaud ont tenu compte des critiques sur la présentation du premier volume en offrant aux lecteur un étui plus facile à retirer pour ce second volume!
L'horreur muette 10 étoiles

Avec son dessin superbe pour appuyer le texte de Philippe Claudel, Manu Larcenet a bien exprimé comment la barbarie guerrière pouvait marquer au fer rouge le destin de tout un village, laissant derrière elle une terrible chape de plomb. Car il n’y a rien d’héroïque ici, seules la lâcheté et la honte demeurent, après des actes ignobles motivés par la peur, la colère, l’effet de groupe et la certitude d’avoir raison. « Le Rapport de Brodeck », c’est aussi une autre bataille, celle des mots contre le silence. Les mots dont Brodeck a besoin pour rédiger son fameux rapport, pour dire la vérité. Le silence, c’est cette autre chape qui semble avoir recouvert le village à l’image de cette neige masquant la saleté et étouffant les sons, des sons qui ont quitté la bouche d’Emélia, suite au calvaire qu’elle a enduré. Ce silence oppressant dans lequel les villageois se sont réfugiés sous le poids de la honte.

Reste l’indicible, titre donné à ce second volet qui creuse plus profondément son sillon vers la noirceur humaine. L’indicible, lorsque les mots ne parviennent plus à exprimer les sentiments, devant par exemple l’horreur d’une situation – celle décrite ici est réellement épouvantable, et souvent elle ne l’est que par les seuls dessins plus suggestifs que démonstratifs de Larcenet. L’indicible, niché dans les portraits de l’Anderer, dont la générosité bienveillante est venue remuer la mauvaise conscience des villageois et a provoqué leur colère. Des portraits d’eux-mêmes comme des miroirs, tellement réalistes, dans lesquels ils ont cru percevoir un reproche vis-à-vis de leur attitude peu glorieuse durant l’occupation de leur village par les soldats allemands.


On pouvait se douter que cette seconde partie très attendue du « Rapport de Brodeck » ne décevrait pas. De plus, non seulement ce tome 2 peut être d’ores et déjà considéré parmi les meilleures bandes dessinées de l’année, mais il propulse le ténébreux diptyque de Manu Larcenet au rang de chef d’œuvre incontournable, et confirme, si besoin était, la légitimité de son auteur au panthéon du neuvième art. Même si la base qui l’a inspiré était solide (un roman de Philippe Claudel, ça n’est pas rien), l’auteur de « Blast » se l’est totalement appropriée. C’est comme si celui-ci avait spirituellement fusionné avec le romancier, magnifiant le récit de son trait naturaliste fait d’ombres et de lumières. Une lumière qui, dans toute sa crudité quasi clinique, semble là uniquement pour dévoiler la peur, la honte ou la tristesse sur des visages fatigués, pénétrant les âmes pour en révéler toute la noirceur. Un récit qui indubitablement ne laissera pas le lecteur indemne.

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 15 août 2016