Le Labyrinthe du monde, tome 3 : Quoi ? L'Eternité
de Marguerite Yourcenar

critiqué par CCRIDER, le 15 mars 2004
(OTHIS - 76 ans)


La note:  étoiles
L'enfance de Marguerite
Ce troisième volet de la saga familiale " le labyrinthe du monde" raconte l'enfance et le début de l'adolescence de Marguerite Yourcenar. En fait , celle-ci ne se met vraiment en scène qu'à la fin de ce livre inachevé. Elle s'attache d'abord à raconter la vie des deux personnages principaux: Jeanne et son cousin Michel, le père de l'auteur(e) .
Jeanne, après quelques déboires amoureux, se marie avec Egon, un jeune pianiste balte. Ils forment un très beau couple et sont très amoureux. Michel, veuf de Fernande qui lui a donné deux enfants, s'intéresse à Jeanne au point de devenir son amant. Une grande partie du livre raconte les allers et retours de Jeanne qui tantôt trompe son mari avec son amant et tantôt fait l'inverse . Egon, lui, tourne mal, il devient très violent, caractériel, déséquilibré et se lance dans une aventure homosexuelle. Michel passe son temps à papillonner de femmes en femmes. C'est un véritable Don Juan, un Casanova invétéré qui mène une vie oisive. Il a hérité de l'immense fortune de sa mère, l'affreuse châtelaine de Mont Noir, un domaine du Nord de la France. Il fait quelques affaires, la plupart du temps calamiteuses, en fait, il dilapide le patrimoine familial. Il s'entend très mal avec son fils et s'occupe de loin de sa fille Marguerite qui vit dans une immense solitude avec précepteur et domestiques. Les années passent entre le Nord, la Belgique, la Côte Flamande, Paris et la Côte d'Azur. Jusqu'à ce que la guerre de 14 ne bouleverse tout et les oblige à se réfugier en Angleterre où, pour la première fois, Marguerite découvre une vie modeste voire difficile .
On apprend pas mal de détails sur l'enfance de la grande romancière, en particulier ses penchants homosexuels ( elle est repoussée par une servante à qui, toute jeune, elle avait fait des avances ) et son premier début d'initiation sexuelle avec un homme adulte de sa famille alors qu'elle n'est même pas pubère. Au passage, elle nous présente ses conceptions pour le moins tolérantes sur la sexualité ( cf la pédophilie ) et assez en avance sur son temps. ( Nous sommes au début du siècle ).
Le style est très "proustien", pointilliste, foisonnant de détails, de descriptions de sentiments, parfois à la limite de la lourdeur. Pas le moindre dialogue pour "aérer" un peu le texte. Le plus gênant est qu'on n'arrive pas à vraiment s'attacher à ces personnages tant ils apparaissent froids, privilégiés, superficiels et loin de nous. Il ne m'étonnerait pas vraiment qu'à court terme, Mme Yourcenar n'aille faire un séjour au purgatoire des écrivains portés au pinacle en leur temps ... ( et par J . d'Ormesson en particulier .)
Une ouverture sur la vie 8 étoiles

Après un début d'existence des plus austères, l'auteure décrit sa fin d'enfance et son adolescence où elle s'ouvre quelque peu à la vie, en regardant, mi hagarde mi amusée, son père Michel batifoler, auprès des femmes, au jeu. Les sens s'ouvrent, prennent en effet une tournure inattendue.
Certes, il reste une épaisse carapace de pudeur, qui lui laisse une distance naturelle, mais qui, justement, fond quelque peu, la puberté venant. Cela donne un livre assez délicat, voire élégant, sur les choses de la vie, probablement teinté de restes de froideur issue d'une éducation et d'un début d'existence peu propices à l'effusion des sentiments.
Et le témoignage sur l'éclatement de la grande guerre et sur sa perception par une si jeune personne constituent un point de vue important, certes parmi tant d'autres possibles, sur un moment crucial de l'histoire européenne, alors que l'auteure s'est trouvée à vivre entre plusieurs Etats.
Sans m'avoir enthousiasmé très fortement, ce livre s'avère donc loin d'être vain.

Veneziano - Paris - 47 ans - 24 mai 2014


le charme du nord 10 étoiles

Dans ces chroniques, troisième tome du "Labyrinthe du monde", qui s'étalent sur une période allant d'une guerre (1870) à l'autre (1914-1918), Marguerite Yourcenar dépeint le destin des êtres qui lui ont été chers pendant son enfance et son adolescence. Michel, ce père volage, amoureux des femmes et des voyages, deux fois veuf et toujours en quête du bonheur conjugal. Jeanne, la femme de sa vie, maîtresse adulée, qui l'aimera à la folie mais finira par s'en lasser. Egon, le mari de Jeanne, jeune musicien d'avant-garde, bientôt célèbre, qui l'aime mais lui préfère ses amants d'un jour. Enfin, Marguerite, qui parle peu d'elle sauf pour évoquer l'éveil de son homosexualité. À travers ces personnages, et maints autres, tous "hors du commun" par leur culture raffinée mais aussi par leur sens aigu de la liberté individuelle, c'est toute une époque qui est évoquée, avec la grâce d'écriture et l'immense érudition de l'auteure de "L'œuvre au noir" et des "Mémoires d'Hadrien"...

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans - 23 juin 2012


la froideur du purgatoire 10 étoiles

Pour être franc j'apprécie beaucoup cette soi-disant froideur reprochée par Ccrider à Marguerite Yourcenar. Il faut énormément de talent pour parvenir à s'effacer de la sorte derrière les évènements et les personnages afin que ceux-ci aient leur vie propre : point d'interférences donc entre la vie de l'auteure et des faits antérieurs à sa naissance (pour les deux premiers tomes), ou du moins à sa vie d'adulte. A ce titre, cette biographie d'ailleurs n'en est pas vraiment une, en tout cas pas au sens qu'on lui donne depuis Jean-Jacques Rousseau jusqu'à Sartre. Je n'ai donc pas du tout ressenti d'éloignement vis à vis des personnages qui ne m'ont parus ni privilégiés ni superficiels. Il me semble au contraire qu'ils l'auraient été davantage si Yourcenar avait tenté de s'impliquer de façon directe dans leur histoire.
Quant au purgatoire des écrivains je regrette que "l'exil" de Marguerite Yourcenar loin de France ne l'ait pas ancrée dans le paysage littéraire à l'image d'une Marguerite Duras par exemple (ai-je tort?). D'un autre côté c'était une solitaire, pas une mondaine, et son écriture est peut-être aussi plus exigeante. Je n'arrive pas à l'imaginer comme une référence populaire...

Echemane - Marseille - 45 ans - 29 mars 2004


Pas faux 7 étoiles

Il est vrai que, dans ce livre, une certaine froideur est sensible de la part de Yourcenar. Elle semble assez souvent détachée des faits qu'elle se limite à raconter. Mais prendre position sur des gens très proches n'est pas toujours chose évidente.

De là à penser que Yourcenar risquerait le purgatoire des écrivains !... J'ai plus que des doutes !... Elle me semble trop grande pour cela ! Oui, si le lecteur devait de plus en plus se contenter de la production nouvelle, non si tel ne devait pas être le cas. Et ceci est valable pour des Gide, Giono, Montherlant, Gary, Malraux et bien d'autres.

Je vois mal les "Mémoires d'Hadrien" et "L'oeuvre au noir" tomber en purgatoire, ainsi qu'un recueil de nouvelles comme "Feux".

Cela dit, tout est possible...

Je suppose que CCrider a voulu dire que d'Ormesson aussi louait Marguerite Yourcenar, c'est en tout cas ce que j'ai compris. Mais c'est plutôt lui que je verrais au purgatoire bien qu'ayant une très belle écriture et une grande culture.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 15 mars 2004