Un séjour inopiné
de Christiane Dupont-Champagne

critiqué par Libris québécis, le 20 juillet 2016
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Un an en Côte-d'Ivoire
L’adolescence est un moment difficile à traverser. En plus d’être bourgeonneux, on est bougonneux comme des petits vieux malcommodes. On a la rage vissée au cœur. Une contrariété, la moindre soit-elle, déclenche l’éruption. À cet âge, on ne déroge pas à ses habitudes. Autrement dit, les adolescents adoptent, pour un certain temps, les caractéristiques de la vieillesse.

Quand le père obtient un contrat l’obligeant à se rendre en Côte-d’Ivoire pour un an, c’est l’apocalypse qui s’annonce. La famille le suivra en Afrique où il creusera des puits. Rachel s’oppose à ce séjour inopiné sur un continent inconnu. Ce n’est pas la peur de l’ailleurs qui la retient, mais son béguin pour Jonathan. À 16 ans, les amis occupent le premier rang des priorités. Quoi qu’il en soit, elle accompagnera ses parents et Mathieu, son crétin de frère. À part soi et son cercle d’amitiés, tous méritent d’être voués aux gémonies.

Les préparatifs vont bon train même si la récalcitrante rue dans les brancards. On atterrit finalement à Abidjan, la capitale du pays. Déjà la chaleur alimente la grogne de Rachel, qui trouve la ville quand même belle. Mais ce n’est pas la destination prévue. C’est Bouaké, une ville beaucoup moins occidentalisée. Quel supplice que de poursuivre ses études dans un lycée français où les professeurs estiment les femmes et surtout les noirs moins intelligents que les hommes blancs !

Être considérée comme une quantité négligeable n’est pas le stimulus judicieux pour une adolescente révoltée. Heureusement, Rachel parvient à fraterniser avec Astrid, une ressortissante française qui fréquente le même établissement scolaire. Mais c’est une amitié retorse. C’est son frère qui l’intéresse. L’adolescence est l’âge des béguins. Ce n’est pas l’être aimé qui importe, mais le titillement que l’on éprouve en pareille occasion. Elle s’aperçoit rapidement qu’elle est plutôt un objet de désir qu’autre chose. Son intérêt se tourne alors vers Mustapha, un noir qui a eu le privilège de s’inscrire au même lycée à cause de son talent. Grâce à lui, elle s’initie à la culture africaine, culture qu’elle apprécie à cause de l’authenticité de la population. Les Ivoiriens sont des gens résilients en dépit de leur pauvreté devant la richesse éhontée des spoliateurs néo-colonialistes qui exploitent sans vergogne les richesses du pays. De ce périple, Rachel revient beaucoup plus conscientisée eu égard aux problèmes sociaux engendrés par la cupidité des investisseurs. L’Afrique est devenue pour elle une terre d’amitié réelle qui la détourne de ses préoccupations nombrilistes.

Ce roman, écrit pour les adolescentes de treize à quinze ans, réfléchit bien la mentalité des filles de cet âge. La révolte et le béguin qui se lovent dans leur cœur sont habilement exposés dans un discours qui oriente leurs préoccupations vers d’autres horizons. Vaut mieux prendre le large que de rester au quai. L’écriture élégante soutient bien la narration avec un « je » qui donne plus de relief à la thématique.