Au commencement du septième jour de Luc Lang
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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De l'enquête à la quête
Thomas et Camille Texier ont réussi leur vie. Tous deux sont cadres, proches de la quarantaine et vivent près de Paris avec leur deux enfants Elsa et Anton. Seul petit bémol, Camille doit s’absenter fréquemment car le siège de son entreprise, Delta Energy, est en Normandie. Mais Thomas et les enfants ont appris à faire avec. Jusqu’à ce soir où le téléphone sonne pour informer Thomas que son épouse a été victime d’un grave accident et qu’elle a sombré dans un coma de stade 3 : «L'hématome temporal était considérable, il nous fallait de toute urgence réduire la pression crânienne avant d’engager d’’autres interventions.»
Commence alors un pénible voyage d’un hôpital à l’autre en passant par la gendarmerie, le lieu de l’accident – une route de la campagne normande – la ferme voisine et le casse auto où ce qui reste du véhicule a été déposé.
Car Thomas veut essayer de comprendre ce que son épouse faisait en pleine nuit sur une route sans réel danger, pourquoi «L’auto a chaviré dans le fossé, des haies ont été arrachées sur 20 m et quand elle est remontée de l‘autre côté du talus, au lieu de s’immobiliser là, avec l’élan inouï, dame, elle a fini en tonneaux, plusieurs, 50m plus loin sur la chaussée, une trajectoire impossible, impossible…»
Les données techniques, le téléphone portable et l’ordinateur portable qu’il va décrypter ne feront qu’augmenter le mystère. Sans compter cette «lampe Art déco signée, en pâte de verre violette et orangée, pas du tout le genre de la maison» qui était en paquet-cadeau qu’elle transportait à l’arrière de sa voiture.
Les messages plus que cordiaux échangés avec un collègue, Hubert Demestre, font naître de nouveaux soupçons, d’autant que le médecin lui annonce que Camille était enceinte de huit semaines. Des chocs multiples que Thomas doit gérer en essayant de préserver ses enfants, la famille et son travail. Pendant ce temps, le coma est en voie de résorption. Peut-être que Camille pourra expliquer son attitude? Un espoir qui sera vite déçu. Si la malade se réveille, elle reste totalement absente et finit par sombrer. Une vie résumée à une pierre tombale : Camille Granier, épouse Texier, 1976-2012. Ce «livre un» s’achève dans la noirceur la plus totale : «La vie est une prison, on est enfermés dans le malheur.»
Le «livre deux» est celui de la remise en question et du rapprochement avec ceux qui restent. Thomas part avec ses enfants rejoindre son frère Jean qui élève des chèvres dans les Hautes-Pyrénées. L’occasion, en cheminant sur les entiers du GR 10, de retrouver ses racines, mais aussi de dévoiler quelques secrets de famille. Au bord du lac d’Anie, il va notamment se retrouver confronté à une autre mort : celle de son père, victime d’une chute mortelle. Les non-dits, qui ont provoqué l’éclatement de la famille, poussent à agir, à chercher à renouer avec sa sœur qui a choisi de tout quitter pour fonder un dispensaire en Afrique.
Autre décor, autre quête. Nous voici au Cameroun où il n’est pas aisé de faire des kilomètres, surtout pour rejoindre un endroit peu sûr où Boka Haram commet régulièrement des exactions. Thomas va du reste vite faire l’expérience des coutumes locales, de la corruption et de la gestion du temps. Il est arrêté, soupçonné d’être un agent étranger infiltré par le Tchad ou le Nigeria, puis relâché au bout de quatre jours, délesté de quelques billets. Il va finir par retrouver sa sœur. À nouveau, quelques vérités enfouies vont ressurgir…
J’aime beaucoup la formule d’Éric Libiot qui dans L’Express explique le travail de Luc Lang en expliquant qu’«il cuisine de la théorie dans un grand chaudron romanesque» et que les «500 pages passent comme une respiration. Un rythme de sprinteur pour un roman de coureur de fond.» J’ajouterai que ce roman, dans sa quête individuelle, touche à l’universel. Fruit de plusieurs années de travail, cette œuvre est tout simplement ce que j’ai lu de plus beau cette année. Il mériterait amplement les lauriers d’un prix littéraire.
http://urlz.fr/42VX
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Trois en un
Critique de Eoliah (, Inscrite le 27 septembre 2010, 73 ans) - 20 mars 2021
Le parti pris de diviser en trois étapes sans transition ni repère laisse déconcerté.
La première partie exprime parfaitement la déstructuration de la vie suite à un accident très grave... l'impact sur le quotidien des enfants, de la sphère pro, l'énigme des circonstances etc.. malgré des descriptions un peu longues, les aspects pratiques, les émotions tout nous est bien transmis, cette partie se termine avec une blessée qui reconnait ses proches.
La deuxième partie nous amène dans les Pyrénées, la description de la vie des enfants intégrés à l'estive du troupeau de leur oncle est rafraichissante pour le lecteur, on suit avec plaisir le rythme quotidien de cette vie en montagne. Cela dit la description d'un parcours de randonnée sur plusieurs jours est vraiment trop précise, trop longue, trop détaillée. On apprécie la mentalité de Jean qui s'active sur un mode authentique. Au fil de la lecture on arrive à se situer temporellement par rapport à l'accident et on comprend sa conclusion tragique. Les relations intra-familiales se révèlent perturbées.
Si l'auteur choisit de dévoiler les secrets de cette famille dans la troisième partie je n'ai pour ma part pas apprécié qu'il ait cédé à la mode de "l'humanitarisme en Afrique" . Vu la masse de détails et de descriptions qu'il développe il aurait mieux valu en faire un autre roman.
Le choix de rédiger "au fil de l'eau" sans repère pour les dialogues ni pour les allers-retours temporels ou les rêves rend la lecture laborieuse.
Traversée...
Critique de Lucia-lilas (, Inscrite le 21 février 2016, 58 ans) - 8 septembre 2016
Thomas qui avait vécu jusque là bien sereinement : deux gamins adorables, un bon boulot, une belle maison, des tas de projets… bref Thomas est comme déséquilibré, placé sur une pente en roue libre, sans freins, sans casque, sans rien pour se protéger… Lui qui croit tout maîtriser, les lieux (ah, le GPS !), les hommes (ingénieur, il vient de trouver un système pour contrôler le temps de travail des salariés), les événements, le voilà désormais ballotté, manipulé comme une marionnette bien naïve dont il percevra petit à petit les fils.
Il roule, roule sans arrêt et ce paysage qui défile autour de lui devient hautement symbolique. Souvent, il est perdu : les lieux qu’il interroge ne lui répondent pas, ne lui donnent pas d’explication : que faisait Camille à Saint-Eustache-la-Forêt ? Ce n’était pas sa route pour rentrer à Paris. Avait-elle un amant ? Il va sur les lieux de l’accident. Thomas a besoin de visualiser les choses pour comprendre. « Vous êtes arrivé » répète le GPS. Il descend et regarde cette ligne droite au milieu de nulle part. Il ne comprend pas. Non, il n’est pas arrivé, il est à peine parti en réalité et la route ne sera pas toute droite, loin de là !
Cet accident est pour Thomas un point de départ, le début d’une quête qui va le conduire sur les chemins de son enfance, sur les routes de son passé, dans un effort pour saisir ce qu’il n’a pas vu jusque là, les choses à côté desquelles il est passé, comme un aveugle, comme un homme totalement absorbé par sa réussite sociale et professionnelle, persuadé d’être le meilleur, celui qui a réussi.
Soudain, il va faire ce qu’il n’a pas fait jusque là : échanger avec ceux qui fréquentaient Camille, sa femme, parler avec Jean son frère qui vit dans les Pyrénées et porte en lui un lourd secret que Thomas n’a jamais soupçonné et enfin reprendre contact avec sa sœur Pauline, médecin, partie au Cameroun pour aider les plus déshérités à survivre et pour fuir, elle aussi.
Thomas parcourt de longues distances, risquant à tout moment l’accident, comme Camille. Il traverse des espaces et progresse dans sa recherche sur son passé comme s’il avait besoin d’avancer physiquement pour comprendre, progresser dans son désir d’y voir plus clair, même si c’est douloureux et très risqué. « La montagne est trop verticale, dira Jean, il faut préférer l’océan. » Peut-être parce que l’on y voit plus loin, rien ne fait écran, rien ne dissimule l’horizon.
Au commencement du septième jour est un livre sans repos, sans halte, un livre dans lequel on ne reprend pas son souffle. On court, on marche sans répit, on reprend sa course effrénée dans un rythme qui s’accélère, qui s’affole. Le texte est saturé. Plus la place pour une virgule. Pas de blancs. Même les rêves de Thomas sont sans respiration, saturés de signes, de sens. Une forêt à déchiffrer et dans laquelle se perdre est un risque. Et il faut aller vite parce que le temps presse maintenant…
Thomas comme chevalier errant à la recherche d’un Graal et qui, tel Perceval, ne pose pas les bonnes questions au bon moment, découvrant la vérité quand c’est trop tard. Il est celui qui n’a rien vu, qui est passé à côté de tout, qui a traversé les gens comme il traverse les paysages, sans les comprendre vraiment, la tête dans son GPS qui lui indique où il doit tourner et quand il est arrivé. Thomas n’a rien vu. Rien. Et là, on a comme l’impression qu’il fait le chemin inverse, il retraverse les lieux en tentant de les comprendre, de les analyser. « Il songe qu’un nouvel ordre mathématique étalonne sa vie, que les mesures sont à reprendre, qu’il a vécu dans une obscurité insouciante … La clairvoyance. Qui vient trop tard. »
Un texte superbe, l’histoire d’un homme qui va tenter de rattraper le temps perdu, si c’est possible… pour enfin trouver un peu de paix, peut-être celle de Dieu qui au septième jour peut se reposer, enfin…
Une écriture incroyable notamment dans sa capacité à traduire les émotions des personnages, leur souffrance, leur peur, à travers les silences, les phrases inachevées ou des discours qui masquent l’essentiel.
Et enfin, lire ce livre, c’est voyager, oui, vraiment, voyager : la topographie très précise crée un effet de réel saisissant. La dernière partie qui a lieu en Afrique est fascinante : vos sens en alerte, vous y êtes, aux côtés de Thomas, dans la chaleur étouffante, le chaos des routes et la terreur omniprésente d’y rester, de mourir, là, à chaque détour du chemin, dans la poussière et les cadavres des bêtes crevées. C’est un « roman géographique », comme le livre que Jean prêtera à Thomas, pour le mettre sur la piste…
Superbe ! Vraiment !
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