En prison : récits de vies
de Jeannette Favre, JeanFrançois Favre (Dessin)

critiqué par Mathieu971, le 9 octobre 2016
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Des prisons et des hommes
Jeannette Favre a assuré sa profession d'assistante sociale pendant quatorze ans en milieu pénitentiaire. Manière pour elle, militante des droits de l'homme, de se confronter à la réalité de la détention et de vies brisées. Il lui fallait écrire pour rompre le cercle de l'enfermement, car les intervenants en prison sont eux aussi enfermés, et surtout pour se libérer du poids trop grand de ce qu'elle voyait et entendait chaque jour.
Elle est donc ici actrice et témoin des récits de vie qu'elle raconte : femmes et hommes confrontés à leurs actes souvent terribles (ainsi Loïc, qui a tué sa femmes bien-aimée et ne s'en remettra pas, il se suicide en prison) et qui tentent de comprendre et de se comprendre, à l'aide justement de l'assistante sociale, des psychologues et autres intervenants. Ils ont besoin aussi qu'on leur explique le système judiciaire, ce à quoi s'emploie l'assistante sociale.
Avec leurs vies déchirées déjà avant l'entrée en prison (nombreux SDF, drogués, alcooliques, séropositifs, femmes battues, etc.), ils ont besoin se reconstruire, de se réconcilier avec eux-mêmes. Souvent en conflit avec leurs parents ("Chacun, un jour ou l’autre, doit effectuer cette démarche d’accepter ses parents tels qu’ils sont et non tels qu’on les souhaiterait"), ils ne savent pas ou plus aimer. La violence ("la haine", disent-ils) est devenue un moteur, qu'ils retournent souvent contre eux-mêmes : beaucoup de mutilations, de suicides en prison.
Jeannette Favre, au terme de ces différents récits, conclue qu'elle a "constaté, comme bien d’autres avant moi, que le monde de la prison par ses mises à l’écart, l’éloignement, la non-communication, l’atteinte à la vie privée et familiale, réactive les angoisses les plus profondes, atteint l’estime de soi, enferme les personnes à l’intérieur d’elles-mêmes et désapprend la communication authentique avec autrui".
Tous ces récits de vie, souvent émouvants, mais sans pathos, nous montrent que des êtres humains sont là, capables de changement pour peu qu'on les aide à croire en eux-mêmes. Le livre nous invite à nous interroger sur le sens même de la peine en prison, et fait connaître un autre point de vue que les schémas habituels des médias et des thèmes sécuritaires qui sont toujours mis en valeur, au détriment de la perspective de réinsertion, toujours possible, selon l'auteur.
Un très beau livre.