L'Ampleur des Astres
de Thierry Roquet

critiqué par Kinbote, le 17 octobre 2016
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Thierry Roquet, le cosmos et la chasse au court
Avec la collection des P’tit Cactus de Jean-Philippe Querton qui s’est imposée dans le monde de l’édition francophone belge et au-delà, on sait maintenant que les aphorismes se déclinent suivant différents genres, diverses sensibilités…

Les dernières livraisons mettent davantage l’accent sur des aphorismes qui disent aussi le quotidien des auteurs, leurs humeurs, à la façon d’un journal intime. Des aphorismes qui ne jouent pas seulement sur les mots mais qui sont aussi l’expression d’une vision du monde, d’une sensibilité unique.

C’est le cas avec cette dense livraison de Thierry Roquet dont on connaît déjà l’univers poétique singulier et dont on reconnaît ici l’esprit.

Une partie d’entre ces aphorismes (que l’auteur définit comme une chasse au court) sont d’ailleurs écrits à la première personne et décrivent son quotidien, sa vie de couple et de salarié; ce sont ceux qui m’ont touché le plus tant ils sont vrais et justes. Sans apprêt et sans illusion mais avec un fond de tendresse pour l’humanité qui caractérise l’auteur.

Même si ceux où il se joue des mots et de ses maux n’ont rien à envier aux maîtres du genre (Quand un chômeur, il refroidit vite - Douche froide)

Si les apophtegmes flirtent avec la déprime, la dépréciation de soi, ils sont plus vivifiants que bien des ouvrages de développement personnel et le recueil délivre des sentences définitives sur l’homme (a)social, comme, entre autres, celle-ci : être soi-même jusqu’au bout, parmi les autres, équivaut à un suicide social (Philosophiquement vôtre).

Tous se particularisent par le jeu subtil entre le titre dont ils sont affublés (avec l’aide d’Éric Dejaeger, souligne Roquet, auquel le recueil est en quelque sorte dédié) et le (mini)corps de l’aphorisme. Il arrive même que le titre le dépasse…

Thierry égrène aussi plusieurs rencontres de qualité (entre un reflet et un aveugle de naissance, entre un pervers narcissique et une victime expiatoire…) et quelques promenades nocturnes où le gaillard part promener… sa bite (et qui valent par les remarques savoureuses que lui rétorquent sa chérie).

Le souci du temps qui passe, la vaine quête de l’identité et autres questions existentielles irriguent ce recueil qui ne s’intitule pas par hasard L’ampleur des astres car tout est par cela mis en perspective avec le vide immense du cosmos.

Idéal donc pour entrer dans l’univers roquettien par la belle porte des phrases vives et nécessaire pour ceux auxquels manqueraient encore à leur collier de publications du Cow-boy de Malakoff* cette nouvelle perle.

Un recueil à lire, puis à partager !

Le chouette dessin de couverture est signé Emelyne Duval.


Quelques extraits:

Piqûres & rides
Fais gaffe, le taon passe.


J’en salive déjà
Après mon entretien dent-bouche, je vais demander une augmentation de molaire.


Pessimiste-optimiste
Ca fait un bon moment que je n’ai plus ressenti de coup de déprime et ça m’inquiète un peu.


Origine
N’oublions jamais d’où nous venons : du trou du cul de la galaxie. Ça dégaze sec ! Et ça vous met des parfums d’étoiles dans les narines!


Vive la Bretagne !
Lorient est à la pointe de l’Occident.


Fort comme un chêne
Glander, c’est résister à l’occupation.


Sur les conseils de mon médecin
J’ai engagé un détective privé pour surveiller ma tension.


Bio ou rien
Celui qui se cultive tout seul pousse sans doute un peu de travers.


Fauché
Je n’ai pas les moyens de m’acheter un être cher.
De l'amour et de l'humour 8 étoiles

Thierry Roquet, poète éponyme, d’une rue parisienne plus connue pour ses bars et ses fêtards que pour ses belles lettres, a pour une fois déserté le terroir des vers pour s’adonner aux textes courts, aux aphorismes et autres jeux sur les mots, au creux de ce recueil, j’ai même déniché un joli zeugme : « Je vais noyer mon chat et mon chagrin » (j’en ai peut-être laissé filler d’autres). Il a eu l’excellente idée de prendre la précaution de placer ce premier recueil sous la bénédiction d’un expert en la matière, l’héritier des Scutenaire, Sternberg et autres surréalistes belges, Eric Dejaeger. « C’est vraiment, mousseusement et chaleureusement que je tiens à remercier Eric Dejaeger pour sa lecture et ses encouragements. » Ainsi adoubé par le maître, il avait mis les meilleurs atouts dans ses pages pour que notre lecture commence sous les auspices les plus favorables.

Je ne connais pas Thierry Roquet mais, d’après ses textes, je l’imagine narquois, rusé, matois, observant avec ironie ses concitoyens se débattant gauchement contre tous les petits tracas du quotidien en se gardant bien de leur adresser le conseil qu’il réserve à ses lecteurs : pour se débarrasser des ennuis et des fâcheux, « Il faut voir les choses en face, attendre qu’elles se retournent et leur foutre un grand coup de pied au cul ». C’est pourtant tellement simple !

Lui, on ne sait pas comment il se débrouille avec la vie même s’il laisse traîner quelques indices, il semble courageux, « Il est passé sous six lances et n’a même pas hurlé », en éveil ,« 24 heures sur 24 – Je vis au jour le jour, surtout la nuit » et toujours prêt à affronter l’ennemi, « Fort comme un chêne – Glander, c’est résister à l’occupation ». Tout ça n’est qu’hypothèses récoltées dans un tas de mots auquel l’auteur sait faire dire ce qu’il veut bien nous faire croire, il sait bien que les mots sont espiègles et joueurs. Nous retiendrons cependant cette sentence qui semble beaucoup plus crédible : « L’amour est trop sérieux. Moi, j’ai beaucoup d’humour à donner ».

Et nous l’accompagnerons quand il fera son « Retour vers l’avant – je vais retourner dans le passé pour que mes arrière-pensées deviennent des pensées », des pensées pas trop sérieuses évidemment des pensées pleines d’humour comme il l’a promis lui-même.

Pour un essai c’est un coup de maître, Dejaeger a bien jugé et il a fort bien fait d’accompagner ce recueil jusqu’à son édition, nous l’en remercions chaleureusement et pourquoi pas … « mousseusement » en levant notre pinte à sa santé.

Débézed - Besançon - 77 ans - 7 novembre 2016