Les Insatiables
de Gila Lustiger

critiqué par Hcdahlem, le 20 février 2017
( - 65 ans)


La note:  étoiles
Les insatiables
Gila Lustiger, auteur allemande vivant depuis plus de vingt ans en France, nous offre avec ce roman tout à la fois un thriller passionnant, une charge contre les élites, la révélation d’un scandale sanitaire et un portrait au vitriol de la France d’aujourd’hui. C’est dire la richesse et la densité de cette analyse sans concessions des mœurs de ces dirigeants politiques et économiques que le pouvoir aveugle et qui s’autorisent crimes et châtiments en toute impunité. Ceux qu’on appelle Les Insatiables. Elle nous dépeint la réalité de cette France à deux vitesses, ce fossé entre les nantis qui se permettent tout et les sans-grade qui semblent condamnés à subir leur sort.
C’est à un journaliste d’investigation répondant au nom de Marc Rappaport que l’auteur va confier le soin d’entraîner le lecteur dans un dossier non-élucidé. Franc-tireur et mouton noir de la famille, ce dernier ne se satisfait pas de voir les enquêtes de police bâclées ou trop vite classées, comme cet assassinat d’une prostituée survenu en 1984. Si, près de trente ans plus tard, on reparle de l’affaire, c’est que la police scientifique a pu exploiter des traces ADN et remonter jusqu’à un certain Gilles Neuhart, employé de banque et père de famille sans histoires.
Seulement voilà, Marc va constater très vite que sa culpabilité ne saurait être aussi évidente que la police l’affirme. En parlant à son épouse, puis au présumé coupable, il va comprendre que l’origine de ce viol, puis du meurtre brutal qui a suivi, est à chercher ailleurs.
Pierre, son rédacteur en chef et ami, lui enjoint de ne pas s’obstiner, d’autant que les pressions ne tardent pas à arriver.
«Pour des raisons profondes et inconnues, on se laissait entraîner et, soudain, on se retrouvait tout entier accaparé». Marc ne cédera pas, notamment en raison de son passé (son grand-père était un grand capitaine d’industrie) ainsi que de la proximité avec les habitants de son village d’enfance. Du coup Gila Lustiger rajoute encore une strate supplémentaire à ce formidable roman : on peut le lire comme un manuel à l’usage des jeunes journalistes, véritable mode d’emploi de l’investigation.
Ne négliger aucune piste, essayer de rapprocher des éléments qui n’ont a priori rien à voir, faire parler tous les protagonistes de l’histoire…
Voilà comment on passe d’un meurtre à une curieuse accumulation de cas de cancers, d’une prostituée tuée à Paris à une usine chimique aux procédés douteux. Grâce au chantage à l’emploi, elle peut se permettre de passer outre à certaines procédures, à faire fi de la législation pour accroître son marché et ses bénéfices.
Avec cette acuité que possède les personnes étrangères quand elles découvrent pour la première fois une ville, un milieu, des habitudes qui nous semblent tellement ancrées dans la société que l’on ne pense plus à les questionner, Gila Lustiger va dresser le catalogue des compromissions, des petits arrangements, de la corruption, de la criminalité en col blanc qui gangrènent notre pays.
On ne lâche plus le roman, d’autant que sa construction nous offre régulièrement de nouveaux coups de théâtre, reliant subtilement toutes les pièces du puzzle les unes aux autres : « D’un côté, nous avons le meurtre d’une prostituée commis il y a trente ans, e de l’autre ? Un groupe qui fabrique des additifs pour l’alimentation animale et dont le personnel présente un nombre élevé de cas de cancer du sein. Nous pensons que les deux histoires sont liées parce que le père de la victime et le beau-frère du meurtrier supposé travaillaient dans le même groupe. »
Bien plus plaisant que des ouvrages de sociologie, bien plus fascinant que les essais politiques, ce roman montre avec force détails un visage de la France, de l’évolution de la société. Que tous les candidats à la présidentielle devraient méditer, tant il est éclairant !
http://urlz.fr/4Osq