Les contes défaits de Oscar Lalo
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Une vie en pointillés...
A vrai dire, je ne m’attendais pas du tout à découvrir une histoire aussi terrible : est-ce le mot « conte » qui me laissait imaginer tout autre chose ? Ma surprise n’en a été que plus forte lorsque j’ai découvert un narrateur détruit, vide, un homme incapable de devenir un adulte, ne sachant ni aimer ni être aimé. « Je suis sans fondations. Ils m’ont bâti sur du néant. Je suis un locataire du vide, insondable et sans nom, qui m’empêche de mettre le mien. »
Quel événement est à l’origine de cette impossibilité d’être ?
Alors qu’il était enfant, le narrateur partait en vacances dans un « home », espèce de colonie de vacances sur laquelle régnait en maître une femme-tyran qui terrorisait tous les gamins en imposant des lois absurdes : ne pas courir, ne pas sauter, ne pas se cacher, ne pas parler, ne pas crier, ne pas se salir, ne pas tomber malade, ne pas être en sueur… Evidemment, ce n’est pas tout à fait comme cela qu’un enfant imagine ses vacances mais il vaut mieux se taire que d’être frappé.
Cependant, le pire n’était pas la femme mais l’homme, le mari de la Thénardier : lui ne frappait pas, il caressait, longtemps, trop longtemps…
Mais, comment peut-on se plaindre d’une caresse ? Il était si gentil, ce directeur, il écoutait les enfants, les réconfortait. Lui, au moins, on pouvait le tutoyer. Alors, les enfants abusés se taisaient pour ne pas lui faire de la peine.
Si dans les contes, les méchants sont les méchants, la réalité s’amuse à brouiller les pistes… Derrière le berger, se cache peut-être le loup…
Alors, quand la main de la mère lâche celle de l’enfant au moment de monter dans le train, c’est la panique : « Ce sont nos parents qui nous conduisaient au train. A qui se plaindre quand c’est la police qui vous livre ? » Les parents n’y voient que du feu : la brochure vantant les mérites du « home » présentait les enfants attablés devant jus d’orange, croissants et pots de confiture. Et puis, « c’était cher, donc ça soulageait la conscience de nos parents qui se débarrassaient d’autant plus aisément de nous. »
Malgré quelques tentatives d’opposition, l’argument parental tombe comme un couperet : « « Tu comprends, y a rien à faire. » C’était vraiment ça la force de ce lieu : nos parents n’avaient rien à faire. Ils étaient comblés. Quant à nous, dès lors que nos parents n’avaient rien à faire, nous n’avions rien à dire. »
Mais à soixante-cinq ans, le narrateur, seul face au puzzle de sa vie, constate qu’il lui manque une pièce. Et pourtant, apparemment, il a, comme on dit, « réussi sa vie ». Apparemment seulement, car à l’intérieur, tout est creux, tout est vide. « Je suis un post-it qui ne colle plus. » Pas d’identité réelle, une vie qui consiste à faire semblant, à imiter, à s’agiter. « Je me suis inventé mille vies car je n’en vis aucune. » Il est un homme « éparpillé » comme le suggère le dessin de la couverture où l’on voit une tête qui semble s’effriter en une multitude de points. Son unité est perdue. Il est « défait » au sens militaire du terme, vaincu, écrasé. L’enfant abusé est en morceaux, en pièces. Adulte, il restera comme émietté en dedans.
Seule l’écriture peut encore l’aider : « Et c’est ainsi qu’en calligraphiant la laideur, j’ai tracé des lignes de vie que je ne connaissais pas. » Minces lignes de fuite pour quelqu’un qui a besoin de dire son passé, de nommer ce qui l’a détruit.
Un texte très fort, écrit avec beaucoup de pudeur et de retenue : en effet, tout est suggéré, murmuré, parfois même comme dissimulé derrière des jeux de mots qui sont autant de feux de détresse tirés à l’horizon d’une vie gâchée par des gestes déplacés, des parents aveuglés et égoïstes, un entourage absent.
Un sujet sensible traité avec beaucoup de délicatesse…
Les éditions
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Les contes défaits [Texte imprimé], roman Oscar Lalo
de Lalo, Oscar
Belfond
ISBN : 9782714473868 ; 18,00 € ; 25/08/2016 ; 224 p. ; Broché
Les livres liés
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Les critiques éclairs (7)
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Quel écrivain de talent !
Critique de Didoumelie (, Inscrite le 5 septembre 2008, 52 ans) - 17 avril 2017
Premier roman édifiant à l'écriture autant poétique qu'incisive et tranchante. Toujours des mots justes, des atmosphères décrites telles qu'on s'y croirait, le tout sur un sujet grave avec sur un ton juste.
Vivement son prochain livre !!!
Une plume unique
Critique de Tsar (, Inscrite le 7 février 2017, 44 ans) - 7 février 2017
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Bravo, très bel ouvrage
Critique de Nicob (, Inscrit le 23 janvier 2017, 55 ans) - 23 janvier 2017
On se sent vidé et submergé par les émotions.
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MAGNIFIQUE
Critique de Lizas (, Inscrite le 23 janvier 2017, 32 ans) - 23 janvier 2017
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Magnifique
Critique de Nathavh (, Inscrite le 22 novembre 2016, 60 ans) - 24 novembre 2016
"Affronter son passé pour comprendre son présent et espérer éclaircir son avenir"
Lorsqu'il était enfant, il était coutume de l'envoyer avec son frère à chaque vacance en "colonie", oh non pas "Les joyeuses colonies de vacances" chantées par Pierre Perret. Oh que non, même si les parents le pensaient car comme c'était cher , c'était donc bien ( le pouvoir de l'argent !) mais aussi la brochure qui idéalisait l'endroit montrant entre autre de copieux petits-déjeuners croissants, jus d'orange. Encore un miroir aux alouettes, le petit-déjeuner se prenait en fait serré sur un banc parfois à 35, des tartines énormes, dures, badigeonnées de fraise, le tout mouillé par un thé ou un chocolat.
C'est âgé de dix-huit mois que tout commença pour notre narrateur, d'abord l'abandon à la gare, un long voyage en train, l'arrivée au "home" (sweet home, ah non pas du tout!- c'est ironique car c'était tout le contraire, et le voyage avec l'homme "des enfants".
"Ce sont nos parents qui nous conduisaient au train. Á qui se plaindre quand c'est la police qui vous livre ?"
La directrice : dominatrice, tyrannique, pernicieuse, elle contrôle tout, gère tout.
Le home :
c'est la "sodomie matinale" avec le thermomètre coupable, si 37, 4 ° on est considéré malade !
c'est l'obligation de "faire dans le pot" devant tout le monde après le repas
c'est la promenade obligatoire
c'est ne pas courir, ne pas salir, se taire, ne pas crier, ne pas être en sueur...
c'est la directrice qui souffle les réponses au téléphone, il fait toujours beau, tout va toujours bien.
c'est la directrice qui dicte les courriers
"La version orale des lettres que nous leur envoyions authentifiait nos propos et détruisait d'autant la vérité qu'ils ne pouvaient plus comprendre."
Bref elle domine et impose la terreur. Mais ce n'est pas le pire !
Le pire c'est l'homme des enfants : le loup dans la bergerie, celui que l'on croit ami car il est doux, il console, il caresse, et touche les enfants, c'est pire car c'est indicible, innommable , comment se plaindre, en parler ? C'est la loi du silence.
Septante-neuf courts chapitres abordent ce sujet sensible et douloureux dont Oscar Lalo nous parle avec énormément de pudeur. Il est économe des mots, concis, direct. Il joue et détourne avec élégance les mots.
"Pourvoyeur de plaisir pour voyeurs. Un viol de nuit sans Petit Prince. Les contes défaits etc ..."
Son style est direct. Sa plume sobre, subtile et travaillée. Il dit sans dire. Il verbalise cette quête de justice et explique comment le narrateur a été "défait" comme ses contes.
Un récit touchant, douloureux, indispensable. Un premier roman dont on ne sort pas indemne.
Un petit bijou.
Ma note : ♥
Les jolies phrases
Elle nous apprit en une seconde : qu'à ne pas le choisir, on accepte qu'un autre choisisse l'autre.
Nous étions sous pression. Rêver sur une chaise, dans un livre, sur un puzzle, ou marcher sans but précis, c'était risquer le surgissement du loup, du chien ou de leur maîtresse. On n'y comprenait rien.
Mais cette famille intérimaire nous bousculait tellement que toute notre énergie passait à rétablir notre équilibre.Leurs gestes, par exemple. La directrice nous frappait et l'homme nous caressait.
Si à l'oeil nu, la carence affective ne se voit pas, la carence alimentaire, elle crève les yeux.
Et être proie revenait à tendre la joue. Pour une claque ou une caresse. La seconde laissait plus de traces.
J'étais devenu sans m'en apercevoir celui qui ne dit plus jamais non à rien. A la fois acteur principal d'un film de figurants et spectateur de ma propre impuissance, je charriais des flots de violence contre moi. Ainsi mon problème n'est-il pas de n'avoir rien construit dans ma vie, mais d'avoir systématiquement tout détruit.
Dire un seul mot, ce serait tout dire, donc perdre un ami. Alors pour le garder, cet ami, nous ne bronchions pas et devenions notre pire ennemi.
Cette quarantaine volontaire joignait dangereusement deux ingrédients : la douleur et la haine. Á ceci près que l'explosion n'avait lieu que des années plus tard. Les dommages décimaient alors l'entourage, indemne jusque-là. Avant cela, douleur et haine consumaient la mèche qui brûlait tout l'intérieur. La décomposition qui en résultait affaissait tout l'organisme sans relâche. Haine et douleur se relayaient pour redoubler une tension d'autant plus sourde qu'on n'éclatait toujours pas.
Ils ressemblaient tous à des nuages. Mais des nuages d'un genre particulier. De ceux qui ne pleuvent jamais.
C'est comme une tache que l'on constate sur soi et qu'on peine à relier à un événement précis alors qu'elle a forcément une origine.
Car un attouchement va plus loin que l'acte lui-même. Il creuse une plaie dans l'eau de mer, qui ne peut que s'élargir.
Pourquoi donc la soumission ? Pourquoi n'avons-nous jamais dit "Non !", juste pour voir ?
Le mariage de l'incertain et de l'anodin : c'était ça le home. Les bons moments qui passent de promesses à sévices. Vos bourreaux qui vous délivrent. Bref, la menace perpétuelle du naufrage sur mon lit-canapé.
J'ai plusieurs professions pour éviter de penser. Je suis sportif et musicien, cinéphile et mélomane. Je me suis inventé mille vies car je n'en vis aucune.
De fait, les abus commis sur l'infant n'existent pas puisqu'à moins de six ans, on est pénalement irresponsable. On n'a pas l'âge de raison. Traduisez : on a toujours tort. Les actes n'existent pas. Preuve en est : on ne peut pas vous frapper d'une peine. Vous êtes déjà condamnés à vie. Ainsi, par un effet pervers prévu pour les pervers, un mur d'impunité entoure toute exaction commise sur un trop petit enfant ; puisqu'il ne peut pas être coupable, il ne peut pas être victime.
Quand on a voué sa vie à se nier, peut-on seulement s'entrevoir au kaléidoscope dont le jeu de miroirs angulaires émiettera notre reflet ?
Mon testament est simple. Il tient en trois mots : je vais vivre. Je veux vivre. Je meurs de m'y mettre. L'enjeu : ne pas vivre à l'envers.
Peau d'âme, noire neige, le petit poussé, bref, tous ces contes défaits.
On m'a privé d'enfance comme d'autres de dessert. Sauf que l'enfance, c'est l'entrée et le plat principal. Á cause de l'homme d'enfants, je suis un homme enfant.
Un bon mensonge vaut mieux qu'une mauvaise vérité.
Conte désenchanté
Critique de Killing79 (Chamalieres, Inscrit le 28 octobre 2010, 45 ans) - 18 novembre 2016
Le roman débute dans les souvenirs du narrateur, à l’époque où il allait dans un camp pour enfants. Étant moi aussi parti en colonie dans ma jeunesse, j’ai ressenti de la nostalgie dans les premières lignes. Mais ce doux sentiment s’est très vite effondré lorsque l’histoire commence à se durcir et qu’elle tombe dans des thèmes plutôt difficiles.
Alors ce roman nous parle de l’enfance et de son innocence. L’enfant ne connaît pas les règles, ne différencie pas ce qui est bien de ce qui ne l’est pas et se laisse donc facilement influencer. Pour l’adulte que le narrateur est devenu, la gravité des actes ne fait aucun doute, mais il les partage avec ses yeux d’enfant. Tout est alors beaucoup plus flou et tellement plus candide. On constate grâce à ce texte que certains faits peuvent être vécus comme un conte au regard d’un enfant (d’où le titre !), alors qu’il s’agit en réalité d’un drame aux conséquences terribles.
Le thème de la résilience est aussi au centre de cette tragédie. Longtemps après les faits, le narrateur reste victime de son silence. Il explique comment son traumatisme est resté enfermé en lui, sans échappatoire. Les évènements ont bouleversé sa vie et rien ne semble lui permettre de tourner la page. C’est le parcours de cet homme torturé qui doit traverser les obstacles avec son fardeau.
Sans jamais tomber dans l’outrance ou dans le pathétique que pourrait engendrer ce genre de sujet, Oscar Lalo nous livre une œuvre intimiste, toute en délicatesse. C’est un roman court mais d’une grande puissance. Je suis ressorti bouleversé de cette lecture qui sort de l’ordinaire par sa forme et qui a su m’ouvrir les yeux sur la maltraitance et ses répercussions, quand le mal va bien au-delà du préjudice physique.
Toute mon admiration pour M Lalo qui avec ce premier roman d’une finesse rare, offre au lecteur un concentré d’émotions et nous secoue les tripes.
Génial!!!
Critique de Almal (, Inscrite le 17 novembre 2016, 34 ans) - 17 novembre 2016
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