L’œil en feu de Mircea Cărtărescu

L’œil en feu de Mircea Cărtărescu
(Orbitor II ( Corpul ))

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Pucksimberg, le 6 décembre 2016 (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 45 ans)
La note : 10 étoiles
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Bucarest transfigurée par Cartarescu

Décidément, l'écriture de cet auteur ne me décevra jamais. Riche, complexe, foisonnante elle touche à l'essentiel et nous permet de voir au-delà de ce qui est visible. Le regard de l'artiste transfigure le réel et nous fait pénétrer dans un univers épique, sacré tout en étant à la fois très physique.

Mircea Cartarescu est surtout connu pour sa trilogie "Orbitor". En France, trois titres différents ont été choisis alors qu'en Roumanie il est question d'un Orbitor I, Orbitor II et Orbitor III. Ce mot rappelle évidemment l’œil et équivaut à "aveuglant", un peu comme son oeuvre qui évoque très souvent des corps transparents, des univers que l’œil modifie et métamorphose en des mondes surnaturels et excitants. Le lecteur de Cartarescu sort de ces romans littéralement aveuglé par cette force poétique et par l'hermétisme de certaines pages. L'on en est pas moins émerveillé par une telle langue et une telle fougue poétique.
Dans cette trilogie Mircea Cartarescu continue d'explorer son enfance en évoquant les amis, le frère et les parents. Il y a de très belles pages sur la figure maternelle et sur les tapis qu'elle brode. Les pages autobiographiques sont limpides et se lisent comme on lirait un roman traditionnel. L'auteur va bien au-delà de ces simples anecdotes et élève son récit au rang de récits mythiques avec ces anges qui descendent du ciel. De plus le lecteur effectue un va-et-vient incessant entre intériorité du personnage et extériorité. Le vocabulaire de l'anatomie domine largement dans ces romans. Tous les organes et les os sont convoqués dans un discours magique qui donne l'impression d'entrer dans les arcanes de l'univers. Cela relève quasiment de l'incantation parfois.
Certaines scènes auraient pu être traitées de manière objective, mais Cartarescu les réécrit à la lumière des émotions ressenties durant son jeune âge. Les pages consacrées au cirque deviennent impressionnantes et transfigurent les artistes. L'on a le sentiment que l'on touche au sacré dans ces descriptions complètement folles. Et que dire de ces hommes-statues ? Et de l'Homme-serpent ?
La scène où un papillon est dévoré par une araignée est tout simplement l'une des plus terrifiantes que j'ai eu à lire.

Le personnage principal reste Bucarest, la capitale. Les descriptions sont sublimes et rendent cette ville mythique. C'est sans doute l'écrivain roumain qui a le mieux parlé de cette ville sans pour autant faire de ses descriptions des reportages. Amsterdam elle-aussi sera évoquée, surtout le quartier rouge à la fin du roman.
Les papillons envahissent son roman, comme dans le premier volume. Ils sont souvent démesurés et rattachés aux organes du corps. Cet univers est énigmatique et possède la grâce de certains grands romans, complexes mais admirables.

Lire Cartarescu est une expérience singulière. L'oeuvre ne se livre pas facilement. De plus, il faut aimer la poésie et accepter que l'imagination n'a pas de bornes pour apprécier à sa juste valeur cette trilogie. L'écrivain mériterait le prix Nobel depuis de nombreuses années. Il faut voir ce qu'il représenter pour les Roumains. Ses livres sont dans toutes les librairies. Et cet ouvrage est remarquable !

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