Coupable d'avoir dansé le cha-cha-cha de Guillermo Cabrera Infante

Coupable d'avoir dansé le cha-cha-cha de Guillermo Cabrera Infante
(Delito por bailar el chachachá)

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 2 janvier 2017 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 8 étoiles
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Trois danses coupables

« Il pleuvait. La pluie tombait avec fracas entre les colonnes vieilles et vermoulues. Ils étaient assis et lui regardant la nappe blanche. Il y avait autre chose que l’ennui de la pluie soudaine… »

Trois fois tandis qu’il pleut dehors un homme déjeune avec une femme dont il nous est fait une remarquable description. Cela se passe à La Havane dans les années 50 ou 60. Dans la première histoire, l’homme et la femme assistent à un rite africain de type vaudou ; dans la seconde, la plus légère, la femme va d’une certaine façon disparaître sous la pluie. Dans les deux premières histoires, un non-dit relatif à la relation des deux amoureux, quelque chose de l’ordre de l’interdit, est évoqué sans être explicité.

Dans la troisième histoire, plus politique, vers laquelle tendent les deux premières nouvelles, le narrateur va avoir affaire à un commissaire du peuple venu lui demander d’infléchir la ligne éditoriale de son supplément culturel. Cela nous vaut une démonstration anticommuniste brillante mais risquée pour le narrateur qui joue gros. Il démonte avec humour et brio le vocabulaire révolutionnaire et la paranoïa de type communiste à propos de tout ce qui relèverait de l’impérialisme forcément américain.

Un épisode sans doute inspiré de la propre expérience de l’auteur qui fonde un journal culturel de 59 à 1961 pour prendre ensuite, en 62, ses fonctions d’attaché culturel en Belgique, manière de l’éloigner de Cuba. Il rompra définitivement avec le régime castriste en 65 pour s’exiler en Espagne puis à Londres. Comme d'autres exilés: Reinaldo Arenas, Severo Sarduy, Zoé Valdés, Eduardo Manet... Comme aussi Abilio Estévez, Guillermo Rosales, Carlos Victoria, José Manuel Prieto, Eliseo Alberto, Karla Suarez…

Cabrera Infante dont la « virtuosité n'a d'autres limites que notre disposition à nous laisser entraîner par son écriture dans une fête de l'intelligence, de la grâce et de la sensualité » meurt à Londres en 2005 à l’âge de 75 ans.

Guillermo Cabrera Infante est l’auteur de Trois tristes tigres, son chef d’oeuvre, cité par ailleurs dans la liste des grands romans latino-américains par Javier Cercas dans son essai paru récemment en français sous le titre de Le point aveugle.

Ce petit livre s’affirme comme une composition littéraire en trois nouvelles qui chacune correspond à une danse: le rituel de la santeria, le boléro et le cha-cha-cha, né sous le régime de Batista en 51 et duquel on devait par la suite, sous Castro, nécessairement se sentir coupable comme l’exprime avec une belle malice le narrateur de la dernière partie.

Une lecture vivement recommandée à ceux qui, mal informés, se complaisant dans le leurre ou ayant une idée de la liberté d’expression à géométrie variable, ont versé leur petite larme rouge lors du décès du dictateur cubain en parlant d’un système ayant résisté à l’impérialisme américain et qui serait resté vierge de toute dérive totalitaire…

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