Danser au bord de l'abîme de Grégoire Delacourt

Danser au bord de l'abîme de Grégoire Delacourt

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Hcdahlem, le 6 janvier 2017 (Inscrit le 9 novembre 2015, 65 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (11 946ème position).
Visites : 6 345 

Danser au bord de l'abîme

L’auteur de La Liste de mes envies et des Quatre Saisons de l’été nous revient avec un roman qui devrait élargir encore davantage le cercle de ses lecteurs, car si sa plume est toujours aussi élégante, elle va cette fois chercher plus profondément les tourments de l’âme. À l’anecdote vient désormais s’ajouter la gravité, aux bonheurs de l’amour viennent désormais se mêler la douleur de l’absence et du deuil.
La première – bonne – surprise est d’avoir choisi le point de vue d’une femme comme narratrice. Une femme dont la confession est sans concessions : « Je transcris ici l’enchaînement des faits tel qu’il s’est déroulé. Je ne commenterai pas l’irrépressibilité de mon désir – elle est sans doute à chercher du côté du sacré.
Je veux juste essayer de démonter la mécanique du désastre. De comprendre pourquoi, plus tard, j’ai incisé à jamais le cœur de ceux que j’aimais. »
Emmanuelle et Olivier ont plutôt bien réussi. Le couple a trois enfants, le mari une bonne situation, Emma arrondit ses fins de mois dans un magasin de vêtements. Un petit bonheur tranquille qui cache toutefois une frustration, une usure, un mal-être : « Je me vidais de moi-même. Je m’essoufflais à ne pas m’envoler. Je pâlissais, et Olivier parfois s’inquiétait – il parlait alors de quelques jours ailleurs, l’Espagne, l’Italie, les lacs, comme si leur profondeur allait engloutir ma mélancolie. Mais nous ne partions pas, parce qu’il y avait les enfants, parce qu’il y avait la concession, et parce que j’avais fini par mettre toutes mes frustrations dans ma poche, un mouchoir par-dessus, comme me l’avait enseigné ma mère. »
Une mère qui prenait aussi la peine de lui lire une histoire chaque soir et qui lui a ainsi donné le goût des histoires et des héroïnes. En suivant les aventures de La chèvre de monsieur Seguin – qui servira de fil rouge tout au long du livre – de Claudine mise en scène par Colette, de la Lily Bart d’Edith Wharton ou des personnages imaginés par Louise de Vilmorin, elle va se construire un imaginaire propice à accepter le regard que lui jette un jour un homme dans la brasserie André.
Sans échanger un mot, elle va tomber amoureuse, fondre de désir. Simplement parce qu’«Il y a des hommes qui vous trouvent jolie et d’autres qui vous rendent jolie». Peu importe le séisme que cette rencontre peut provoquer, peu importe les conséquences du dialogue qui finit par s’installer :
«– Je m’appelle Alexandre et je pense à vous depuis trois semaines.
– Je tiens une boutique de vêtements pour enfants. Mais plus pour très longtemps.
– Je suis journaliste à La Voix du Nord. Les pages «culture».
Sauf que le beau scénario d’Emma et d’Alexandre va s’effondrer avant même d’avoir pu se concrétiser. Pas par peur, pas à cause de la pression – très forte – des enfants pour empêcher la rupture, pas à cause des conjoints respectifs. À cause d’un fait divers banal.
« Une jeune fille est installée à deux tables de la mienne. Soudain, une autre arrive. Pâle. C’est son amie. Elle s’excuse d’être en retard. Ils ont bloqué la Grand-Place, dit-elle. Un type. En V'Lille. Qui s'est fait renverser par un bus. Je crois qu’il est mort. »
Le roman va alors basculer. De la tentative d’évasion à la réclusion. Emma n’a pas le courage de rentrer chez elle et d’oublier ce drame. Elle erre quelques temps avant de finir dans un mobile home du camping Pomme de pin à Cucq.
« Je sais maintenant que le deuil est un amour qui n’a plus d’endroit où se loger. » dira-t-elle pour résumer cette période sombre que de nouvelles connaissances vont tenter d’adoucir. Mais Emma reste lucide : « J’avais abandonné mon mari, mes trois enfants, pour les lèvres d’un homme et pour mille espérances. J’avais erré de longs mois dans ma tentation, j’avais surnagé dans son absence. Et je m’étais perdue dans ce vide. »
L’apaisement viendra avec la troisième partie. Aussi paradoxalement que cela peut sembler, l’apaisement viendra avec une nouvelle épreuve, le cancer dont est victime Olivier. « Viennent alors les tests, les IRM, les PET scan, les décisions, les antalgiques puissants, le dextropropoxyphène, l’oxycodone, les indécisions, l’hydropmorphone. Vient cette période cotonneuse d’avant les séismes, ce temps suspendu où plus rien n’a de valeur (…) Vient enfin le séisme. L’instant où tout bascule. Où plus rien n’a d’importance. » On peut alors tout se dire, laisser tomber les masques. Cette danse au bord de l’abîme est bouleversante. Elle vous fera comprendre que «la vie est la courte distance entre deux vides» et que chacun doit être libre de choisir comment parcourir cette courte distance.
http://urlz.fr/4CrD

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SOS amour…

10 étoiles

Critique de Jfp (La Selle en Hermoy (Loiret), Inscrit le 21 juin 2009, 76 ans) - 3 octobre 2024

L’amour, toujours l’amour, et le hasard, faisant bien ou mal les choses de la vie. Les thèmes de prédilection de cet auteur prolixe et primé sont au rendez-vous dans ce roman, très bien écrit, osant la poésie des mots. C’est l’histoire d’une femme mariée, Emmanuelle ou Emma, la narratrice, et de son amour pour Alexandre, un homme rencontré au hasard de ses visites à la Brasserie André, 71 rue de Béthune à Lille (oui, elle existe vraiment !). Une histoire d’amour qui va bouleverser la vie de bien des personnages et générer bien des surprises, par une réaction en chaîne que l’on appelle aussi effet domino. Loin des clichés sur la crise de la quarantaine, Grégoire Delacourt dresse un magnifique portait de femme, témoignant d’une connaissance profonde de la complexité de la psychologie féminine. Un roman qui plaira aux femmes, bien sûr, mais aussi permettra aux autres de mieux comprendre certains ressorts secrets du beau sexe. Un immense plaisir de lecture, même si l’on est très loin de la romance…

Vertigineux

8 étoiles

Critique de Deashelle (Tervuren, Inscrite le 22 décembre 2009, 15 ans) - 18 janvier 2018

«Alexandre est l'ébouriffant désir de ma vie »

Il a juste frôlé sa vie! Un roman sur le désir, sur la passion, une amplification romanesque de l'histoire de la chèvre de Monsieur Seguin qui met en scène la femme infidèle, une quadra en crise, insensible à ses devoirs et ses responsabilités. Le prénom de la dame évoque bien sûr madame Bovary. Elle est la narratrice! Analyse fine et subtile de la confusion des sentiments. L'auteur réussit très bien cet avatar du personnage d'Emma qui malgré ses trois enfants (trois ados de douze à seize ans) et Olivier, un mari dévoué, s'abîme dans la folie de la passion. « Je me vidais de moi-même. Je m'essoufflais à ne pas m'envoler. Je pâlissais, et Olivier parfois s'inquiétait – il parlait alors de quelques jours ailleurs, l'Espagne, l'Italie, les lacs, comme si leur profondeur allait engloutir ma mélancolie. Mais nous ne partions pas, parce qu'il y avait les enfants, parce qu'il y avait la concession, et parce que j'avais fini par mettre toutes mes frustrations dans ma poche, un mouchoir par-dessus, comme me l'avait enseigné ma mère. » Elle se trouve saisie de coup de foudre pour une vulgaire inconnu aperçu dans une brasserie, et devient amoureuse du vertige de l'amour. Fantasmes pathétiques et touchants à la fois! Elle a tout pour être heureuse, mais elle est prête à mourir pour ressentir l'inaccessible vertige! Fuite, culpabilité, rédemption... L'amour est finalement sans limites.

« La vie est la courte distance entre deux vides. On gesticule pour la remplir. On traîne pour l'étirer. On voudrait qu'elle s'éternise. On s'invente même parfois des doubles vies. On respire et on ment. On regarde sans voir. On veut profiter de tout et tout glisse entre les doigts. On aime et c'est déjà fini. On croit au futur et le passé est déjà là. On est si vite oublié. On ne veut pas perdre et, lorsque vient la fin, on refuse de baisser les paupières. On refuse la poignée de terre sur notre peau glacée. Il faut pourtant savoir lâcher prise.»

Histoires d'amours

8 étoiles

Critique de Anna Rose (, Inscrite le 3 octobre 2006, 52 ans) - 24 mai 2017

Je suis épatée par la capacité de l'auteur à transcrire si bien les affres et tourments d'une femme de 40 ans. Celle-ci se cherche et pense se trouver dans le regard d'un autre homme que son mari. L'histoire ne commencera jamais mais les dégâts sont là.
Ce livre formé autour de trois chapitres parle de l'amour sous toutes ses formes: la femme, l'épouse, la mère, l'amie. La vie est une épreuve qui ne se supporte que grâce à l'amour. Résumé ainsi, cela peut semble mièvre mais le style de Delacourt emporte tout: le lecteur devient femme et souffre avec elle, s'ouvre avec elle.
Les trois parties sont inégales et la fin un peu trop "facile" mais l'ensemble reste un bonheur à lire.

la puissance du désir

8 étoiles

Critique de Michel38 (, Inscrit le 9 mai 2017, 66 ans) - 9 mai 2017

Emmanuelle s’épanouit dans sa vie de couple. Elle aime son mari Olivier, elle l’a aidé face à la maladie, elle aime ses enfants…. « Un coup de foudre » vient « chambouler » sa vie, celle de ses enfants et de son mari qui rechute… « Un coup de foudre » pour rien ! Alexandre se fait renverser par un bus et décède le jour de leur départ, le jour où une autre vie devait commencer… Pas mal même si des incompréhensions demeurent sur la (es) réaction (s) d’Emmanuelle (Emma) : Comment a-t-elle pu rester plus d’une année sans voir ses enfants ?

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