La route
de Wole Soyinka

critiqué par Septularisen, le 9 janvier 2017
( - - ans)


La note:  étoiles
MÉDITATION SUR LE NIGÉRIA MODERNE
Au début de cette pièce, nous sommes dans une sorte de cabane au bord de la route, à l’angle d’une église. C’est un garage, un magasin de pièces de rechange, qui est en même temps un café, bar, épicerie, tripot, dortoir, magasin d’alimentation, nommé « Mangazin dé assident – Ici tout piece ».
C’est le lieu où se retrouvent les chauffeurs de camions, de taxi-brousse, de camion-citerne, de camion de passagers, de policiers, de businessmen, etc…
En un mot, tous ceux qui, de près ou de loin, «gravitent» autour de «La route»...

Nous découvrons là plusieurs individus, dont Kotonou le chauffeur et son «coxeur» (rabatteur de passagers) et second Samson, ainsi que Saloubi un apprenti chauffeur qui ne rêve que de s’emparer du permis de conduire de Kotonou.
En effet, celui-ci, traumatisé par un terrible accident meurtrier auquel il a assisté et a même failli être mêlé, ne veut plus exercer le métier de conducteur. Il compte se reconvertir comme gestionnaire et vendeur de la boutique. Le tout au grand dam de Samson, qui non seulement se retrouve sans-emploi, mais en plus trouve que Kotonou gâche son temps et son talent, car pour lui, il est, et de loin, le « meilleur chauffeur de Lagos».

Pour le convaincre Kotonou de revenir sur sa décision, Samson fait alors appel au « professeur », un intellectuel excentrique, seul lettré du groupe, ancien prédicateur laïque, aujourd’hui «petit magouilleur», falsificateur de documents et propriétaire de la boutique…

«La route» est avant tout une pièce d’avant-garde appartenant au théâtre de l’absurde. Mais, le sujet principal de la pièce est… La route. Et pour être plus précis la route meurtrière, traumatisante, violente, dévorante, cannibale… Wole SOYNKA nous présente la route de manière métaphorique, mais aussi symbolique et mythique. On y retrouve d’ailleurs, comme souvent dans les pièces de l’auteur du Nigeria, de la musique, des danses, et des interventions divines...

Les personnages se battent ici à coup d’idole et d’amulettes, de prières et de danses, d’imprécations et de chansons. La route devient elle-même une sorte de personnage monstrueux qui dévore ses propres enfants, ceux qui la parcourent. Ils sont malicieux, roublards, tricheurs, menteurs, débrouillards ou amorphes, mais tous se battent, d’une façon ou d’une autre, contre cette route qui détruit et dévore tout ce qu’elle touche. A tel point qu’à un moment il ne subsiste même plus de frontière entre ceux qui sont censés faire respecter la route (le policier, les fonctionnaires, les politiciens…) et ceux qui en abusent (les détrousseurs de cadavres, les bandes, les fabricants de faux-papiers…).

Bien qu’elle date de 1965, cette pièce n’a pas pris une ride! Tout ce que l’auteur dénonce déjà à l’époque, la police corrompue, les permis de conduire vendu au plus offrant, la route qui tue, les faux papiers, les fraudes diverses, la violence généralisée… Tout cela existe encore de nos jours! C’est donc dire ici la modernité du texte à l’époque, et sa clairvoyance!

Je dois avouer que je suis sans doute passé à côté de nombreuses choses importantes dans cette pièce. Sans doute plus qu’avec celles que j’avais déjà lues du même auteur. La faute ici sans doute, aux longs passages en Youruba repris dans le texte et qu’il faut à chaque fois relire en français, dans les notes du traducteur en bas de page, ce qui, avouons-le, ne facilite vraiment pas l’immersion dans le texte!

Il est étrange de constater que, si en Europe, Wole SOYINKA est surtout connu comme romancier, en Afrique il est avant tout considéré comme un auteur de théâtre ! D’ailleurs dans ses attendus, l’Académie Suédoise qui lui décerna le Prix Nobel en 1986, - faisant de lui le premier lauréat africain -, et parle de lui comme « dramaturge ». Qu’on ne s’y trompe donc pas, le sujet de cette pièce est intemporel!