Con brio de Brina Svit
( Con brio)
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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Les jeux de l’amour et du hasard
Si j’avais été critique littéraire et que j’avais écrit pour un webzine, j’aurais aimé dire que cela avait commencé presque, presque… comme dans la « Conscience de Zeno », la fumée dans les yeux, la fumée de la première cigarette. Celle du petit matin. Brouillé d’un zeste persistant d’insomnie « au sortir d’une nuit blanche », « d’una notte bianca ». L’indispensable cigarette, seule capable de redonner goût à la vie.
J’aurais aussi aimé dire que cela commençait comme dans un scénario, celui qu’aurait voulu écrire l’écrivain – Tibor – qui se met lui-même en scène. Un écrivain qui rêvait d’écrire le scénario d’un film. D’une histoire d’amour. Mais qui ne sait comment s’y prendre, parce que « le cinéma contemporain se veut positif, porteur de bonheur » et « veut avant tout croire en l’amour » (p. 10).
Pure prétérition, puisque, tout en pensant cela et comme j’y pense à l’instant, Tibor fixe, en gros plan, les mains de son interlocutrice. Un gros plan qui va jusqu’à l’insert des ongles « ronds, gentiment coupés, comme si l’enfance n’en avait pas définitivement pris congé » (p. 8). C’est que la caméra-stylo de l’auteur-réalisateur du film qui ne sera pas - mais sera peut-être un roman -, s’attarde longuement, en un « présent éternel », sur ces étranges animalcules qui vivent à leur guise leur vie. Indépendantes, ces mains, volontaires, joueuses. Habiles. Instruments décisifs de la séduction, elles s’animent sur la table, s’appliquent à faire voguer dans un verre de « bourgogne blanc » une note de restaurant pliée en forme de voilier miniature. Mais je ne suis ni Fellini, ni Svit, ni Svevo. Pas davantage Tibor. Je ne suis même pas sûre de savoir d’où je parle !
Terrifiant de comprendre que cette cristallisation amoureuse dont dépend l’avenir d’un couple se joue, non sur les yeux, ces faux miroirs de l’âme, mais sur les mains. C’est avec elles que tout se noue. Comme une partie de trente et quarante qui s’éternise dans un tripot balzacien du Palais-Royal. Où le trésor, fiévreusement amassé par des doigts avides et experts, se dilue et fond. S’étrécit tout à coup comme peau de chagrin, laissant les doigts racornis se perdre en agitations vaines.
Et pourtant, la vie méticuleuse du Tibor de la rue Balzac, manipulé dès le prégénérique par le lion Farkas, éditeur de profession, cette vie méticuleuse, loin de se rétrécir, va s’enfler comme une montgolfière prête à crever, à « éclater comme la chaudière d’une machine à vapeur » (Balzac, Z. Marcas, journaliste de la rue Corneille). Elle va tourbillonner en un cyclone ravageur. L’appartement de la rue du « Lys-dans-la-Vallée » en devient zone franche, tantôt investie, tantôt désertée par cette fausse passante du sans-souci qu’est Kati.
Pas de répit dans ce roman d’amour conduit à rênes tendues. Si le lecteur, hors d’haleine, est emporté dans la brèche qui s’ouvre à ses pieds, Tibor ne s’engouffre pas moins, pris dans les rets de Kati …et de l’écrivain qui mène le bal avec maestria et diaboliques cercles concentriques. Un travelling tournant devenu fou. Désormais, il faudra que Tibor fasse sienne cette blessure. L’apprivoise. La supporte. La vive autant que faire se peut. Comme une imprécation muette ! Maté et bâté dans son appartement de la "rue des Illusions perdues".
Les éditions
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Con brio [Texte imprimé], roman Brina Svit trad. du slovène par Zdenka Štimac
de Svit, Brina Štimac, Zdenka (Traducteur)
Gallimard / Du monde entier (Paris).
ISBN : 9782070754670 ; 14,75 € ; 30/08/1999 ; 184 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (2)
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La nuit transfigurée
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Un roman qui s’égrène appassionato ma doloroso en un tempo implacable de mécanisme d’horlogerie, qui «joue sur l'illusion, sur une idée fixe» poussée jusqu'à son extrême point d'incandescence. Au coeur du livre, comme un nombre d'or, une clé d’architecture, une formule cachée, répondant à une nécessité inexorable à laquelle obéit l’action romanesque. Avec une précision chirurgicale. Brina Svit, une fois encore, « donne forme à l'informe». Un champ opératoire in vivo. J'ai presque envie de lui demander en aparté, en paraphrasant son récit Moreno (page 65): mais «pourquoi donner forme à l'informe si l'informe est plus réel et plus vrai ?» Pourquoi pareille obstination ? Oui, j’ai compris. Dans un monde où, « entre le chagrin et le néant, vous avez choisi le chagrin » (tout comme Faulkner), il reste encore le roman – ce roman comme tous vos romans, qui sont « la voie qui mène à la clarté ». Enfin, la nuit est lumière. Verklärte Nacht. Nuit transfigurée « qui ressemble à un long spasme, intense, lumineux, qui vous met, confondant joie et souffrance, les nerfs à fleur de peau », nuit orgasmique. Lecteur voyeur qui t’attends à une nuit d’amour moite couchée sur le papier, dis-toi qu’elle existe, mais qu’elle est imaginaire. Dans un court chapitre. Le chapitre 37. Car le véritable amour n’est qu’un voyage pour une destination non choisie. Ici, tout le fil rouge du roman est tension. Tension d’élastique, tendu à la limite de la rupture. Élastique sur lequel perle, en goutte à goutte, une goutte de sang. Freiner, endiguer l’épanchement ne peut être que tentative provisoire et sans espoir.
Brina Svit, vos cieux sont somptueux comme cette nuit du 3 au 4 juillet 1054 que vous évoquez. Au cours de laquelle un astrologue chinois (Yang-Wei Te) observa une nouvelle étoile brillante au sud-est de Tien-Kuan. La première année du règne de l’empereur Chi-Ho, si je me souviens bien. Mais ce n’était pas une étoile qui venait de naître, mais une étoile qui s’apprêtait à mourir. Illusion encore et incertitude.
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