L'empire céleste
de Françoise Mallet-Joris

critiqué par Fanou03, le 27 janvier 2017
(* - 49 ans)


La note:  étoiles
La petite musique de Françoise Mallet-Joris
Stéphane Morani habite dans une résidence dont le rez-de-chaussée est occupé par un bar-restaurant, grec malgré son nom, l’Empire Céleste, avec sa femme Louise. Depuis longtemps leur couple bat de l’aile, les deux époux ne faisant plus que cohabiter en essayant d'éviter les conflits. Martine Fortin, une des copropriétaires de la résidence, s’est amourachée de Stéphane et de sa sensibilité d’artiste. Mais Stéphane y voit surtout une profonde amitié qui le console quelque peu des difficultés qu'il rencontre au sein de son couple. Pendant ce temps Louise retrouve par hasard Henry, un peintre devenu célèbre dont elle a été le modèle...

Il faut le noter, ce n’est quand même pas tous les jours que l’on tombe sur des romans parés d’une telle « petite musique » de la sorte, d’un style aussi personnel. L’empire Céleste est à l’évidence un de ces livres, avec sa chanson douce qui raconte l’intériorité et l’intime. Des phrases détaillées, riches en interrogations, en hypothèses sur ce qui anime les individus ou fonde leur motivation : l’écriture psychologique de Françoise Mallet-Joris met l’accent avec précision sur les pensées des personnages, leur caractère et leurs contradictions. Elle génère aussi parfois une poésie mélancolique et urbaine aux passages tout à fait saisissants.

Si L’empire céleste est d'abord une sorte de chronique sociale d’une classe moyenne, plus ou moins argentée, à travers les portraits des copropriétaires de la résidence et de leurs apparentés, le livre décrit surtout le couple, dans toutes ses variantes, ses humeurs et ses dimensions. Au centre de l’intrigue on trouve bien sûr le quatuor épouse/amant, mari/amie formé par Louise, Henry, Stéphane, et Martine, mais des couples d’une autre nature occupent également le paysage du roman : la concierge, Mme Prêtre et sa fille Sylvia, Gérard l’antiquaire et son amitié ambiguë avec Paul, ou encore Germaine Lehuit et sa sœur Pauline. Même Socrate et son bar-restaurant, L’Empire Céleste, pourrait relever aisément de cette dialectique !

Stéphane Morani, véritable figure messianique, porte littéralement la « bonne parole » au groupe d’habitués qui se réunit le lundi soir dans le bar-restaurant. Musicien à la carrière sans gloire, il rattrape sa médiocrité dans le magnétisme qui attire ses camarades de L’empire céleste, du fait même de son statut d’artiste. De fait la présence de l’art est très présente dans le roman, et donne une ambiance un peu bohème qui sied parfaitement à l’esprit de ce bout du quartier de Montparnasse où se situe l’action.

Éminemment psychologique, peignant avec attention les flux et les reflux des sentiments et des états d'âme, je rapprocherai à ce titre quelque peu L’empire céleste du Dieu Nu de Robert Margerit. J’ai été surpris, et sous le charme, de la prose singulière de François Mallet-Joris par laquelle elle se montre une observatrice pleine de justesse de la complexité des relations que l’on entretient avec nos semblables, en particulier avec ceux que l’on aime, ou que l’on a aimé.