L'Empire chinois
de Évariste Huc

critiqué par Colen8, le 18 février 2017
( - 83 ans)


La note:  étoiles
Des confins du Tibet à Canton, une vision de la grandeur de la Chine dans les années 1840
On aurait tort de se priver de cet étonnant récit d’un voyage de plusieurs mois traversant d’ouest en est la partie méridionale de l’Empire Céleste dans les années 1840. La Chine vit sous la dynastie mandchoue finissante après deux siècles de domination sans partage. C’est la période où malgré l’ingérence des puissances européennes qui ont forcé l’ouverture des ports au trafic de l’opium une civilisation plurimillénaire brille toujours. Celle-ci se distingue par ses institutions étonnamment modernes, par l’art de vivre raffiné des classes aisées, par l’intelligence ouverte de son aristocratie non héréditaire constituée de mandarins lettrés issus des concours ouverts à tous. Le regard pénétrant quasi ethnologique parfois condescendant, souvent très admiratif de ce missionnaire lazariste est exceptionnel(1). Il aura passé une quinzaine d’années à sillonner le pays dans le but de poursuivre une évangélisation chrétienne précoce mais discontinue car souvent suivie de persécutions.
Le récit de ce religieux décrit minutieusement des mœurs et coutumes de cette Chine quasi éternelle, forte de 300 millions d’habitants qui en font déjà le pays le plus peuplé du monde. Parlant le mandchou et le mandarin il est à l’aise pour se sortir de situations tantôt critiques tantôt cocasses et nous évoque avec lyrisme la beauté des jardins et des paysages, l’harmonie des grandes villes déjà surpeuplées, l’architecture et la décoration des édifices publics aux tuiles vernissées. Les étapes du voyage sont souvent ponctuées de digressions savantes et d’emprunts à des ouvrages antérieurs afin de donner une idée plus précise de ce lointain empire. Son gouvernement autocratique offre en même temps des espaces de liberté à la circulation des personnes et des idées, avec une organisation administrative combinant centralisation et pouvoirs locaux. Un empire qui a su transmettre les annales historiques relatives aux dynasties successives appuyé sur une écriture moins difficile à déchiffrer qu’on ne le pense, instaurer une école primaire où tous les garçons apprennent à lire et à compter ce qui fait d’eux des commerçants hors pair. Mais il a laissé perdurer le statut profondément injuste de la femme que seul le christianisme aurait été capable d’adoucir sans les persécutions au fil des siècles des missionnaires et de leurs communautés religieuses, soupçonnés de vouloir fomenter des troubles contre l’autorité impériale.
Ce grand voyageur se targue d’avoir percé l’âme chinoise. Il livre ce qu’il pense des croyances marquées de scepticisme et de superstition léguées par Confucius, Lao-Tseu ou Bouddha, insiste sur le culte des ancêtres allant de pair avec la piété filiale, sur des rituels et des règles immuables de l’étiquette fixant les relations sociales. Envoûté par la grandeur de la Chine, il modère son jugement en attribuant non sans humour aux chinois une dose de forfanterie, de mensonge, de cupidité, de corruption, la passion du jeu, tout en s’efforçant de contrer les préjugés péjoratifs des nations européennes leur égard. Son récit vivant, pittoresque est écrit dans un style fluide, précis, imagé, plein de charme qui fait voyager l’esprit comme si on y était.
Faisant suite à « Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie et le Thibet », ayant eu lieu deux ans auparavant dans le nord, la première édition de celui-ci en 1854 couronnée par l’Académie Française, a été suivie de nombreuses autres depuis lors. Le récit est à rapprocher de « L’empire immobile ou le choc des mondes » d’Alain Peyrefitte relatant l’ambassade britannique de 1793 et les malentendus qui en ont résulté (Fayard, 1989).
(1) Ils sont deux à vivre ensemble cette aventure