Hier
de Agota Kristof

critiqué par Jules, le 15 avril 2004
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Terrible destin !
Les livres d’Agota Kristof ont vraiment quelque chose de particulier. D’accord qu’ils sont tous loin d’être gais, mais cela ne tient pas qu’à cela. Selon moi, cela tient davantage de l’écriture, du style qui est le sien.

Quand nous faisons connaissance avec Tobias ou Sander, c’est le même personnage selon qu’on est de l’un ou de l’autre côté de la frontière, il est à l’hôpital entre les mains de psychiatres. Il aurait tenté de se suicider. Se suicider pour arrêter de devoir aller travailler en usine à faire toujours les mêmes trous dans les mêmes pièces. Jours après jours, mois après mois et années après années. Cela fait dix ans déjà…

Tobias est originaire d’un petit village dans lequel sa mère était mendiante et putain pour le nourrir. A peine si elle fermait la porte de l’unique chambre quand elle recevait un homme. A l’école, il n’a qu’une seule amie. Elle s’appelle Caroline, « Line » pour lui. Un jour, écoutant une conversation, il apprend qu’il est le fils d’un amant de sa mère : l’instituteur du village qui est aussi le père de Line. Un matin qu’il le trouve couché sur sa mère, il le poignarde et s’enfuit.

Nous le retrouvons donc, dix ans plus tard, dans un pays voisin et ouvrier d’usine. Là-bas, il dit : « Je suis né dans un village sans nom, dans un pays sans importance. » Il est obsédé par Line et est convaincu qu’un jour elle apparaîtra à nouveau devant lui et libre. Elle lui est destinée et il est seul à connaître leur parenté.

Agota Kristof nous donne ici un livre qui traite essentiellement d’un amour fou, de la condition d’immigré et de la volonté d’écrire.

De l’immigration il écrit : « Je marchais. Je rencontrais d’autres piétons. Ils étaient légers, on les aurait crus sans pieds. Leurs pieds sans racines ne se blessaient jamais. C’était la route de ceux qui ont quitté leur maison, qui ont quitté leurs pays. Cette route ne menait nulle part…. Quand on se retournait, elle avait disparu. Il n’y avait de route que droit devant. »

Un livre moins noir, surtout moins cruel, que « Le grand cahier » et ses suites, mais nous sommes très loin d’un roman à l’eau de rose… Et toujours cette écriture précise, efficace, concise qui me semble caractériser Agota Kristof.

Tobias est-il attachant ? Difficile pour moi de le dire, mais ce qui est certain c’est qu’il pénètre profondément en nous.
SUBLIME, FORCÉMENT SUBLIME! 10 étoiles

Alors disons-le tout de suite, comme cela, j’en suis quitte pour la suite, j’ai aimé ! J’ai vraiment, vraiment beaucoup aimé.

Franchement, je n’ai rien à dire de plus sur l’histoire racontée dans ce livre que ce qui a été écrit dans les autres critiques, comme toujours avec la suissesse, c’est noir, très noir même, puisque c’est le drame de l’émigration (volontaire ou pas…), qui nous est raconté dans ce livre. Nul doute à avoir ici, qu’Agota KRISTOF a probablement dû s’inspirer de sa propre expérience pour ce récit, puisque comme le personnage principal du livre, elle a travaillé dans une usine après avoir émigré de Hongire.

Les personnages sont « profonds », bien décrits psychologiquement, et attachants. L’histoire de cet homme qui attend pendant des années, la femme de sa vie, est belle, très belle. Même si bien entendu, elle est tragique et que dans la plus pure tradition des grandes tragédies grecques, les personnages provoquent leur propre chute par leurs choix et leurs actes!

Mais, le plus beau dans ce livre, reste toujours le style incroyable de cet écrivain, dont décidément je ne me lasserai jamais. Je dirais même plus, de livre en livre j’aime de plus en plus ! Un peu comme un très bon film qu’on regarde sans cesse à de très nombreuses reprises, et où à chaque fois qu’on le visionne, on y redécouvre quelque chose de nouveau, quelque chose en plus, quelque chose qui vous avait échappé la fois précédente…
Toujours les phrases courtes, ponctuées de points. Des phrases directes, franches, sans fioritures, sans pathos... Tranchantes, coupantes comme des lames de rasoir, saillantes comme des pics de montagne. Jamais un mot en plus que nécessaire, jamais un mot inutile, jamais un mot superflu ou à retirer d’une phrase. Juste ce qu’il faut où il faut ! Vraiment une écriture incroyable, une écriture qui « n’existe pas » chez un autre auteur et qui sied à merveille pour le genre de récit que l’auteur nous donne à lire.
Je suppose ici, que je pourrais encore beaucoup dire sur cette fabuleuse écriture.

Mais, comme je le dis souvent pour les livres de poésie que je critique, plutôt que d’en écrire trop et certainement très mal - dans le but de vous convaincre à lire cet écrivain-, il vaut beaucoup mieux pour moi de m’effacer devant l’immensité du talent de l’auteur. Je vous propose donc un très court extrait, pour vous rendre compte par vous-mêmes du talent et du style de Mme. Agota KRISTOF :

… L’autopsie démontrera que Véra s’était empoisonnée avec des somnifères.
Notre première morte.
D’autres ont suivi peu de temps après.
Robert s’est ouvert les veines dans sa baignoire.
Albert s’est pendu en laissant sur sa table un mot rédigé dans notre langue : « Je vous conchie. »
Magda a épluché les pommes de terre et les carottes puis elle s’est assise sur le sol, elle a ouvert le gaz et elle a mis sa tête dans le four.
La quatrième fois qu’on fait la quête au bistrot, le garçon me dit :
-Vous, les étrangers, vous faites tout le temps des collectes pour des couronnes, vous allez tout le temps à des enterrements.
Je lui réponds :
-On s’amuse comme on peut…

Septularisen - - - ans - 16 mars 2015


rejet immigration passé futur vide 8 étoiles

Sandor/Tobias, Line, Yolande et les autres. Tous des personnages perdus, immigrés et locaux, entre deux pays, deux destinées, deux passés. Des passés qui pèsent, qui sont réels ou rêvés. Un livre pessimiste et réaliste avec une langue précise, claire et une syntaxe simple, tranchante comme le couteau qui revient à maintes reprises dans le récit, pour réécrire le passé et écrire, composer, un présent, un futur vain.

Printemps - - 66 ans - 18 juillet 2010


Trop pessimiste 5 étoiles

De l'amour, certes, mais également beaucoup de tristesse, à la limite parfois du cauchemar. De A à Z, on est plongé en plein pessimisme, on n'arrive pas à s'en sortir. Cela commence avec Tobias Horvath, enfant illégitime d'un instituteur et d'une tzigane. A douze ans, il poignarde ses parents en train de faire l'amour, il s'enfuit, prend le patronyme de Sandor Lester et se fait engager dans une usine d'horlogerie.
Malgré ses relations épisodiques avec Yolande, il ne vit que pour et par Line, fille de l'instituteur du village. Y a-t-il là une quelconque nostalgie par rapport au métier de ce père qu'il croit avoir tué ? On apprend qu'elle est sa demi-soeur, ils l'ignorent. La tragédie se poursuit, le noir devient de plus en plus noir. Près de quinze années s'écoulent, Sandor et Line se retrouvent dans cette usine qui les emploie désormais tous les deux. L'amour fou reprend vigueur, Sandor rêve d'épouser Line, peu importe leur lien de consanguinité. Line tombe enceinte, son mari jure que cet enfant doit être celui de sandor, il oblige sa femme à avorter et de rage, Sandor poignarde le mari. Qui n'en meurt pas (tout comme d'ailleurs n'en était pas mort le père de Tobias-Sandor). La suite n'est guère plus gaie, c'est le lent déclin d'un homme sans espoir.
Sans doute avais-je, au moment de la lecture, besoin de nourritures spirituelles plus reposantes ou plus légères, toujours est-il que malgré son caractère poétique, cet ouvrage ne m'a pas emballée.
La mort et le désespoir, j'aime les lire et les parcourir, me glisser dans leur peau fictionnelle et y confondre mes émotions réelles. Dans le cas présent, il n'en fut rien, simplement une plongée dans un misérabilisme peu attirant.

Sahkti - Genève - 50 ans - 16 juin 2006


Tout à fait unique en son genre, Agota... 8 étoiles

Le roman commence par un texte qu'a écrit Tobias, incompréhensible. Il a cru être mort, en parle au psychiatre qui essaie de l'aider, mais triche. Il ne lui dira pas qu'il ne s'appelle pas Sandor Lester, que Line n'est pas une femme qu'il attendrait mais sa demie-soeur. En croyant avoir assassiné son père et sa mère, en quittant son pays qu'il qualifie de sans importance, il a entamé une vie vaine, qui l'étouffe dans ce nouveau pays où il a atterri.

Il la reprend pourtant cette vie, travail à l'usine, maîtresse inconsistante, esprit qui souffre et tente de persister dans l'écriture.

Mais la vraie Line apparaît, l'amour s'éclôt et l'espoir renaît.

Quand on est intimement désespéré, peut-on vivre malgré soi ?....

C'est tout l'indicible de ce roman, criant sous l'écriture si particulière d'Agota Kristof. C'est puissant. Pas troublant, mais interpellant, même si ce terme a été largement galvaudé. La condition d'émigrant, la solitude si largement partagée, le sens même de la vie, tout ça est là, dans le roman.

Cuné - - 57 ans - 25 février 2005


sublime 10 étoiles

décidément j'adore le style d'Agota Kristof...

j'ai été perdue dans le vrai, le faux, les rêves et la réalité...

quel style époustouflant non ?

c'est tout juste ce qu'il faut de noirceur, d'irréel pour nous perdre dans l'histoire, assez pour vouloir relire les pages précédentes et s'en délecter.

Lesembruns - TOURS - 55 ans - 18 août 2004


Maigre 5 étoiles

Avec les phrases courtes et le lexique dépouillé, on ne risque pas de se perdre dans les subordonnées ou de buter sur un mot difficile.
On n’est pas à l’abri des clichés. Le héros aime la femme d’un autre ; leur complicité se brise lorsqu’elle tombe enceinte de l’autre. On l’a déjà lu quelque part...
Si « l‘assassinat » du père a une véritable signification dans l’ensemble du récit, « l’assassinat » du rival me semble incongru. Ni le style ni l’intrigue ne m’ont convaincue.

Béatrice - Paris - - ans - 23 mai 2004