Les Mots longs: Poèmes 1950-2003
de Pentti Holappa

critiqué par Septularisen, le 23 février 2017
( - - ans)


La note:  étoiles
Sur tous les continents il y a des camps de concentration et des crucifiés, toujours.
Parole de ruine

Je veux venir près de toi.
Je ne trouve vrais
ni la pierre, ni le monde ni les distances.
Le coup d'aile d'un oiseau dans le ciel de grand gel dure
aussi longtemps que la ville aux murs coulés de béton.
Il m'a fallu me briser avant de perdre mes illusions. Aujourd'hui,
je suis certain que tes cellules m'entendent quand je parle
la langue aux mille sens des ruines
en moi-même, mais rien que pour toi en vérité.

Extrait de «Parfum de fumée» (1987)

Pratiquement inconnu dans nos pays Pentti HOLAPPA (*1927) est pourtant la «fierté nationale» de son pays, la Finlande, où il est l’équivalent d’un René CHAR (1907-1988), chez nous… Auteur prolifique, (il a écrit plus de 20 recueils de poésie), au parcours chaotique, - il n’a pas écrit un seul poème entre 1959 et 1979 -, il nous est présenté exhaustivement ici, avec des extraits de 17 de ses recueils, qui s’échelonnent tout au long de sa carrière, de «Un bouffon dans la galerie de glaces» (1950), écrit à seulement à 23 ans, à «La voix de l’éléphant » (2003). Malgré la traduction de M. Gabriel REBOURCET, cette anthologie est à considérer comme de «première main», puisque l’auteur lui-même francophone et francophile, traducteur en finlandais entre autre d’Yves BONNEFOY, de Claude SIMON, Nathalie SARRAUTE, Alain ROBBE-GRILLET… -, a revu lui-même la traduction française.

Tout comme son «alter ego» suédois Tomas TRANSTRÖMER (1931-2015, déjà critiqué par ailleurs sur CL), Pentti HOLAPPA est un poète de la modernité et du monde actuel, réaliste, conscient de son environnement et de son milieu social. Autodidacte, humble jardinier des mots, qu’il n’économise pas, il ne joue toutefois pas les inventeurs, ni les théoriciens, il parle droit, franc, direct, lucide, abrupt. et sans aucune illusion.

Le parfum de ta peau

La feuille de papier blanc et le parfum de ta peau
sont assez de matière pour un poème immortel.
La feuille de papier blanc et le parfum de ta peau
sans crier gare se dissipent dans le ciel.

Extrait de "Traces de doigts dans le vide" (1991).

Sa poésie est douce, un rien ironique, un rie dilettante, avec un fort penchant à la mélancolie. Pour HOLAPPA la poésie est une mission, une nécessité d'où on ne tire ni crédit, ni prestige, mais peut-être tout simplement une quelconque utilité : "La poésie est un besoin. // Un pneu de voiture aussi, et une centrale nucléaire abandonnée".
Ses thèmes de prédilection sont la nature, la politique, le pouvoir, les rapports sociaux, l'amour, la liberté, la solitude, la passion, la Finlande sa patrie, la France sa patrie d'adoption...

Homosexuel et militant de la cause homosexuelle à l’instar du grec Constantin CAVAFIS (1863-1933), ou de l’italien Sandro PENNA (1906-1977), - déjà critiqué par ailleurs sur CL -, il n’hésite pas à exprimer ses sentiments. Mais attention, rien n’est dit, tout est suggéré, il n’y a ici pas de vulgarité, pas de sexe, juste la transcendance de l’amour…

29

L'amour parle sous tant d'apparences.
Un train illuminé traverse la chair de la nuit sans bruit,
le ciel se voûte à l'invisible,
la terre gorgée d'eau halète sans relâche,
les étoiles frissonnent,
une ville flamboie au centre névralgique de l'âme.
Un cri solitaire est emprisonné derrière les dents,
il descend la gorge en tourbillonnant puis il arrache les cellules
dans sa bourrasque, jusqu'à l'explosion.
Ensuite, il pleut, dans l'espace planétaire,
la poussière, le silence.

Extrait de «Cinquante-deux» (1979).

Comme toujours laissons maintenant la place au poète et à la poésie, vite, vite avant que ne s’éteigne définitivement la plus grande voie de la poésie contemporaine finlandaise…

PROGRAMME DE PRINCIPE

La prochaine fois que je viendrai au monde ici je
transcrirai chaque minute dès le début. Je n'en consom-
merai pas une seule sans réfléchir d'abord, et le cas
échéant j'arrêterai le temps afin qu'il attende ma déci-
sion. Je choisirai les jours de calme, le travail, les nuits
ardentes, les proches les plus sages, mes amours les plus
belles et les plus fidèles. Avant la scène de l'amour, pen-
dant et après, ni mon partenaire ni moi-même ne devrons
nous sentir étrangers. Jamais, si la vie dépérit et avec elle
toutes les choses, je ne me dirai que demain il sera trop
tard.

Extrait de «La bannière jaune» (1988).

Pentti HOLAPPA a été à le lauréat du Prix national de littérature (Finlande) en 1951 et 1981, il a également été lauréat du Prix Finlandia en 1988 (L’équivalent du Prix Goncourt en France). Rappelons que le nom de Pentti HOLAPPA a été proposé à de nombreuses reprises pour le prix Nobel de Littérature.

AMOUR EN RUSSIE

Des milliers de poètes avant moi déjà
ont chevauché par la plaine ouverte. Je veux dire la plaie.
Le sentier étroit fait un coude sans raison
et derrière s’efface le village aux auberges basses.

Je connais le parfum de la fumée, mais je crains de me retourner
pour voir l’idylle de naguère en flammes.
Désormais m’apparaît comme un rêve la nuit passée
où j’ai dormi près de toi en ami sur le paillot et

j’ai entendu les cheveux s’ébrouer dans les stalles.
Tu dors et tu rêves près de là sans bruit.
À côté de toi je ressens sans cesse combien
la proximité absolue est inaccessible.

Le dimanche nous nous séparons. La bougie de cire
à brûlé dans mon cœur depuis le vendredi soir,
j’étais assis à la grande table de fête dans l’auberge,
je savais qu’on l’avais dressée pour d’autres hôtes.

Peut-être m’as-tu suivi à bicyclette,
et bientôt tu me rejoins avec des roses sur les joues,
un rire à tes yeux gris. Alors
j’oublie combien la ligne de l’horizon est coupante.

Qui sait, le village ne brûle pas, mais le vent porte
un signe particulier, le parfum du goudron brûlant.
Tu as ta façon de te signaler comme faisaient
les dieux de la Grèce et de l’Afrique.

Ainsi donc cependant que je m’avance par la plaine mon
moi d’hier sommeille encore sur la paille et s’appuie
à ton épaule. Revenu aujourd’hui, j’apprends
à souffrir le doute, qui menace sa destruction.

Je marche dans un paysage symbolique. Je vêts
de mots l’angoisse que justifie
l’inévitable fuite et la mort incontournable, or les mots
ne devraient pas nous vêtir mais le silence.

Nul ne mérite d’exister. L’air déferle et le vent
déporte ses nuages, comme la pensée chasse le temps.
Si tu viens, si tu me respires, tu feras de nouveau surgir
le hasard tel un homme parlé de son seul nom.

Après maintes semaines passées à l’auberge
tu as fait un miracle. Je te croirais envoyé
du ciel si je ne comprenais pas que
tout ce qu’effleurent mes doigts dans l’instant s’efface.

Pourtant je refuse de dire en quatrains notre histoire,
si émouvante, et si pure à mes yeux,
pour finir comme un sentier dans la steppe ou
la rivière dans le sable, lentement, pour ne plus être.

Si tu te libérais de ces attaches, de leur
cercle ensorcelé, tu saluerais le cocher
qui t’attendrait avec son attelage, sans oser
te retourner sur le seuil pour me regarder.

Je te souhaiterais bon voyage, pour ton bonheur
je paierais le prix de mon bonheur douloureux,
je paierais plus encore, car après ton départ
je m’estomperais comme un cumulus dans le ciel.

Depuis que je t’ai rencontré je ne sais plus certain
de ma nationalité, ni même de ma langue,
de mes mots pour lesquels je bredouille
pour moi seul le prétexte de quelque passé.

J’en viens à croire que je suis l’ombre
d’une silhouette dans ta mémoire. Je me démène
pour montrer que j’existe, quand je ne sais même pas
si en toi je suis né ou je me suis fourvoyé.

Dans la plaine aux vagues paisibles tu ne vois rien
de nouveau, tu n’entends rien d’extraordinaire,
mais en toi les choses se font, c’est moi,
je m’agite, trouble électrique entre tes nerfs.

Tu essaies de te détacher, tu ne sais pas de quoi,
tu voudrais t’envoler comme un vol d’oiseux lents
quittant la plaine vers le soir, te dissipant en mille parts.
Je serais un de ces oiseaux, et le plus lent, qui sait.

Mes mots sont des instants communs cent fois repensés,
ils ne donnent l’illusion de vaincre l’espace et le temps,
mais une semaine de séparation physique est longue,
un jour même, si on compte les minutes, et on se languit.

Je me souviens de ce dernier samedi. Nous écoutions
à la lueur de la cheminée la longue histoire
d’un amour malheureux, d’une solitude.
Chacun s’affligeait en silence de son propre destin.

Soudain tu as avoué : « Je ne regrette personne
ni rien.» Ainsi laconique tu as prononcé mon arrêt.
Je tourne et retourne cette certitude
comme un tison dans des mains nues.

La plaine est sans rivage. Si en route je croisais
qui que ce soit, sans poser de question sur son épaule
je poserais ma tête, je pleurerais. Car je me souviens
de ce quinze mars, et de cette nuit-là.

Extrait de «Parfum de fumée» (1987).