Les caves du Vatican
de André Gide

critiqué par Mœlibée, le 19 avril 2004
(Paris - 40 ans)


La note:  étoiles
Un scénario brillant et... inexploité !
Si Gide a estimé n'avoir écrit qu'un seul véritable roman (Les Faux-monnayeurs), et que le reste de son oeuvre se répartit entre récits et autres soties, c'est sans doute pour fuir cette sorte d'académisme, ou du moins de rigueur formelle, qu'a acquis le roman au cours du XIXe siècle. Bien sûr, pour Gide, l'imbrication d'intrigues singulières — mais cohérentes, la profusion de personnages, et sans doute une certaine vision globale de l'œuvre, sont des éléments essentiels à l'édification d'un roman. Or, de son propre aveu, la plupart de ses écrits ne satisfont pas à ces critères, et possèdent souvent une intrigue linéaire, des thèmes uniques, peu de personnages, et chacun presque réduit au caractère qu'il incarne (La Porte étroite, La Symphonie pastorale, etc.) : il les appellera "récits".
Comme pour Paludes, il choisira le terme de "sotie" pour qualifier ses Caves. En voici une définition : "Genre dramatique médiéval (XVe s.), courte pièce comique et allégorique ayant pour acteurs des fous ou «sots», qui empruntait généralement son sujet à l'actualité sociale ou politique." Dans ce livre, tous les éléments d'une sotie moderne sont en effet réunis : d'un fait réel (l'escroquerie à grande échelle dans le Sud de la France par un réseau qui mystifiait des bigots, en leur faisant croire à la captivité du Pape, pour leur soutirer de l’argent), l’auteur fait une pièce burlesque, tissée d’intrigues emmêlées, de rebondissements et de coïncidences, jouée par des personnages poussés jusqu’à leur propre caricature (les provinciaux bigots, le truand cynique et protéiforme, le catholique bien-pensant, le franc-maçon farouchement athée qui portera son ridicule jusqu’à se découvrir une foi aveugle et envahissante, etc.). Gide avoue d’ailleurs créer des "types" plutôt que des personnages. Ainsi, ce livre utilise les ficelles du roman, outrées jusqu’au burlesque, pour mieux exposer le "héros" : Lafcadio — seul véritable personnage, avec ses contradictions et subtilités. Les surréalistes admireront en lui l’adepte de l’acte gratuit, d’autres seront effrayés par son cynisme et reprocheront à Gide d’en faire un idéal pour la jeunesse. Pourtant Gide n’a jamais eu l’intention de proposer Lafcadio pour modèle, car au contraire, il livre ici ce qu’il appelait la théorie de l’acte gratuit poussée jusqu’à l’absurde, pour en démontrer le non-sens, et clamer que même les crimes le plus obscurs, les moins rationnels, aux mobiles les moins décelables, ces "actes gratuits" en somme, ont des causes sourdes et secrètes, des motivations psychologiques qui nous échappent le plus souvent. Les Caves du Vatican sont le manifeste, souvent compris à contresens, que l’acte gratuit n’existe pas.
Par ailleurs, on retrouve dans ce livre l’écriture classique — dans l’acception la plus noble du terme, érudite et juste, à laquelle Gide nous a habituée, mais on lui découvre un nouveau talent de satiriste, au style sagace et brillant, avec le goût de l’anecdote, et particulièrement du ridicule, dont il fait avec virtuosité le ciment de ce livre hétéroclite (certaines scènes sont dignes du Flaubert qui s’attaque à la bêtise, et passé maître dans la narration du ridicule). Enfin, les Caves sont un chef-d’œuvre de construction littéraire : l’habitué de Gide est déconcerté par la trame complexe — presque cinématographique — du livre, où l’action se déroule simultanément dans divers lieux, où l’on passe d’un instant à l’autre sans souci de continuité, et qui rapproche la forme de l’œuvre à celle d’un scénario. Rien d’étonnant donc à ce que les Caves du Vatican aient été adaptées au théâtre — par Gide lui-même. À quand l’adaptation au cinéma ?
les caves se rebiffent 10 étoiles

Ne vous attendez pas à des aventures souterraines sous le fameux palais des papes, mais ne soyez pas déçu(e) car des aventures, il y en a, et pas piquées des vers. En fait de cave, il s’agit plutôt du terme argotique désignant péjorativement une personne que l’on peut duper facilement. Car il s’agit ici d’une pochade, fortement teintée d’anticléricalisme, dont les héros sont deux copains habiles à se remplir les poches en jouant sur la crédulité des gens, et particulièrement les gens "de la religion". L’un va se trouver hériter du richissime comte de Baraglioul (sic !), dont il découvre qu’il est le fils "naturel", l’autre va continuer à escroquer les "caves", du Vatican et d’ailleurs, en montant avec quelques complices une vaste supercherie destinée à rassembler la rançon du pape Léon le treizième. Dans une langue fleurie à l’extrême, multipliant les tournures alambiquées, le récit alterne entre les différents personnages, offrant un contraste saisissant entre l’archaïsme (voulu) du langage et la modernité de la structure. André Gide s’est sans doute fortement amusé en concevant "Les caves du Vatican", un roman étrange où il y a mille choses à découvrir, et où il en reste encore mille autres que l’on gardera pour la prochaine lecture…

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans - 21 juillet 2019


Critique rapide 8 étoiles

"Les Caves du Vatican" est le premier roman de Gide que j'ai lu
L'intrigue est complexe, les personnages se relayent sans cesse, ne laissant pas le temps au lecteur de reprendre son souffle.
A la première lecture, j'ai plutôt ressenti l'effet que le burlesque était présent à chaque page, sans me rendre compte vraiment de la signification de toutes ces aventures et de l'acte de Lafcadio, point central de l'oeuvre.
Ainsi c'est en lisant ces critiques que je me suis rendu compte de toute la complexité de cette oeuvre.
Gide s'inscrit bien comme un écrivain révolutionnaire et novateur.
Conclusion: à lire!

Corentin - - 29 ans - 20 février 2011


Polar choral burlesque 8 étoiles

Cette farce policière où aristocratie, Eglise et filiations naturelles et croisées se mêlent tient en haleine. L'intrigue fuse, presque de manière multi-directionnelle, et c'en est assez drôle.
En effet, une réaction à l'académisme du roman doit y être pour quelque chose.
Le tout est énorme, les rebondissement foisonnent, au rythme de la multiplication des personnages qui se croisent, des rencontres fortuites qui se succèdent, et ça marche. Ca n'est pas sérieux, au final, mais ça détend.

Veneziano - Paris - 47 ans - 24 juin 2010


Les Caves du Vatican 8 étoiles

Les Caves du Vatican, oeuvre burlesque s'il en est, est à la fois un mélange de théâtre et de roman...

L'histoire est totalement rocambolesque, et tous les personnages font penser à des types mêmes, afin de mieux les décrédibiliser...

En effet, Gide tourne en dérision aussi bien les bien pensants que les obscurantistes, les francs maçons que les catholiques fidèles...

Le récit est construit à la perfection, avec les personnages qui se croisent et se recroisent, l'intrigue complexe où l'action tient en haleine et ne nous laisse aucun répit...

Gide a le sens du ridicule, et parsème son oeuvre de traits d'humour bien sentis, notamment la scène où l'irréductible athée se convertit subitement le temps d'une soirée passée avec sa belle-famille pieuse...

Lafcadio est un personnage passionnant, jeune et beau, qui semble être un des seuls personnages à échapper au grotesque de l'auteur... Il porte sur lui la théorie de l'acte gratuit, l'acte qui ne sert à rien, sans aucun lien de causalité, qui n'est fait que par plaisir pur... « Je peux faire ce que je veux, rien ne me détermine, je suis libre » Aucune rationalité cachée là derrière, juste agir, comme ca, comme nous l'entendons...

Gide est un auteur que j'affectionne, Les Caves du Vatican est un de mes préférés, sans compter le fantastique Les Faux Monnayeurs...

Neithan - - 37 ans - 21 juin 2005


Récit étrange... 6 étoiles

Je viens de terminer ce roman qui m’a laissé perplexe depuis le début. C’est le premier roman d’André Gide que je lis et certainement pas le dernier tellement celui-ci m’a séduit tout en me laissant un sentiment étrange...
Cette impression a débuté à la fin du premier chapitre. Je pensais alors que le thème du livre serait soit une attaque féroce des bourgeois catholiques (voire de l’Eglise dans son ensemble, vu le titre de l’oeuvre) soit, au contraire, une charge contre les athées (je ne savais pas déjà sur quel pied danser). Sauf que la fin du premier chapitre m’a complètement dérouté et, qu’ensuite, l’auteur s’intéresse à d’autres personnages et à une autre histoire...
Puis, finalement, tous les personnages se croisent, les histoires s’entrecroisent et un thème semble se dessiner. Car que ce soit à travers le comte Julius de Baraglioul (“Nous vivons contrefaits, plutôt que de ne pas ressembler au portrait que nous avons tracé de nous d’abord : c’est absurde ; ce faisant, nous risquons de fausser le meilleur”), le professeur Defouqueblize (“Et quand il n’y aurait pas la société pour nous contraindre, ce groupe y suffirait de parents et d’amis auxquels nous ne savons pas consentir à déplaire. Ils opposent à notre sincérité incivile une image de nous, de laquelle nous ne sommes qu’à demi responsables, qui ne nous ressemble fort peu, mais qu’il est indécent, je vous dis, de déborder”) ou Anthime Armand-Dubois qui, d’athée convaincu, s’était converti en un catholique dévot (“Sa ruine matérielle avait vite suivi [sa conversion] ; et les visites auxquelles Véronique, confiante dans l’appui de l’Eglise, le poussait, n’ayant pas eu d’autre résultat que de lasser et finalement d’indisposer le haut clergé, amicalement il avait été conseillé d’aller attendre à Milan la compensation naguère promise [suite à sa conversion] et les reliefs d’une faveur céleste éventée”), l’auteur veut dénoncer hypocrisie de la société française en général et de l’Eglise catholique en particulier. Cette hypocrisie force les gens à se cacher derrière des masques, de jouer d’autres rôles que leur propre rôle ou force l’Eglise à faire des promesses qu’elle ne tiendra pas. Surtout que cette société bourgeoise, sous ses dehors imprégnés de valeurs morales, est composée d’escrocs, de criminels et les bâtards s’y ramassent à la pelle...
Sous le poids de ce carcan, pendant un bref moment, les passions humaines explosent, comme pour tenter de soulever cette chape de plomb qui, inlassablement, retombe. Sous cette poussée de fièvre, les gens, débarrassés de tout préjugé moral, agissent parfois pour le mieux et tentent de briser les conventions morales, parfois pour le pire et commettent un crime gratuit...

Cependant, je sens bien qu’il y a autre chose sous ce roman mais j’ai du mal à le définir.
Par contre, il y a une chose qui m’a permis de continuer cette lecture avec beaucoup de plaisir est c’est le style de l’auteur. En effet, celui-ci est assez direct et l’auteur se passe des descriptions inutiles et des flonflons qui pourraient endormir le lecteur et se concentre sur les personnages, en les décrivant brièvement, tout comme les décors, et l’action qui est assez resserrée par conséquent. L’auteur veut tellement se limiter aux personnages et à leurs actions qu’un passage se trouve sous la forme théâtrale et seul le nom des personnages suivi de leurs propos apparaît. Bref, le lecteur est scotché au roman.
De plus, le style et le vocabulaire surannés (ayez un dictionnaire, voire une encyclopédie, pas très loin de vous lorsque vous lisez ce roman) ajoutent au plaisir de lecture sans trop la ralentir.
Enfin, je ne passerai pas sous silence l’humour qui est très présent et qui renforce le côté grotesque de certains passages (les noms des personnages procurent déjà une bonne tranche de rigolade : Amédée Fleurissoire, Arnica Péterat, Gaston Blafaphas et, le top, Eudoxe Lévichon... Peut-être qu’à la fin du XIXème siècle, ces noms sont courants mais en ce début de XXIème siècle, ils sont risibles).

Benoit - Rouen - 43 ans - 23 mars 2005


J'ai aimé ce livre 8 étoiles

De mémoire, je crois l'avoir lu à l'âge de 16 ans environ.

Bien sûr, les qualités d'écriture de Gide ne sont plus à louer et c'était surtout Lafcadio qui me fascinait. Ses théories sur l'acte gratuit, comme les explique si bien Moelibée, m'avaient fortement intéressées.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 19 avril 2004