Le désert
de Pierre Loti

critiqué par Tistou, le 10 avril 2017
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Traversée du Sinaï fin XIXème siècle
Agnostique qui ne se résigne pas à renoncer à Dieu, c’est dans cet état d’esprit que Pierre Loti, en 1884, part d’Egypte pour traverser le Sinaï et parvenir à Jérusalem pour tenter d’y trouver Dieu.
« Le désert » est la première partie du triptyque « le désert – Jérusalem – la Galilée » qui relate, jour après jour, son voyage commencé le 22 Février 1884 dans les environs du Caire. Cette traversée du Sinaï va s’étendre du 22 Février au 25 Mars 1884, date à laquelle il – et sa caravane – parvient à Gaza.
Pierre Loti n’a pas fait les choses à moitié puisque c’est en véritable pèlerin qu’il se lance dans cette traversée du désert du Sinaï, avec quelques compagnons – dont on ne saura rien hormis un « Leo » dont il est fait mention à deux reprises – et une caravane de chameaux conduite par chameliers, guide et interprète. Le Sinaï est à cette époque (à la nôtre qui se hasarderait encore dans cette contrée bien compliquée ?) très peu fréquenté ; des caravanes de pèlerins la traversent, plus ou moins, selon les itinéraires, et il est peuplé de Bédouins nomades, de pillards, et sa partie finale, entre Akabah et Gaza est « le royaume du Cheikh de Petra », pillard revendiqué et autorité incontestable. Rajoutons à cela que les Turcs viennent de s’implanter dans le secteur et l’on comprendra que le voyage, outre le simple fait d’avoir à traverser le désert indemne, n’est pas franchement de tout repos.
Mais ce n’est pas pour autant un récit d’aventures puisque Pierre Loti est clairement dans une quête mystique et quel plus bel écrin pour le mysticisme que le désert ? La plume de Pierre Loti est superbe et excelle dans cette évocation, au jour le jour, du lent cheminement à dos de chameau à travers des paysages beaucoup plus changeants qu’on pourrait l’imaginer.

« Autour de nous, à mesure que s’en va la journée, les montagnes s’élèvent et les vallées se creusent. Les montagnes sont de sable, d’argile et de pierres blanches : amas de matières vierges, entassées là au hasard des formations géologiques, jamais dérangées par les hommes, et lentement ravinées par les pluies, lentement effritées par les soleils, depuis les commencements du monde. Elles affectent les formes les plus étranges, et on dirait qu’une main a pris soin de les trier, de les grouper, par aspects à peu près semblables : pendant une lieue ce sont des suites de cônes superposés, étagés comme avec une intention de symétrie ; puis, les pointes s’aplanissent, et cela devient des séries de tables cyclopéennes ; ensuite viennent des dômes et des coupoles, comme des débris de cités fossiles. Et on reste confondu devant la recherche et l’inutilité de ces formes des choses, - tandis que tout cela défile dans le même silence de mort, sous la même implacable lumière, avec toujours ces parcelles brillantes de mica, dont le désert est pailleté ici comme un manteau de parade. »

Il y a notamment sur le parcours un passage et une halte, dantesques vu les conditions de froid et de neige sur ce plateau à 2000 mètres d’altitude dans « la demeure de la solitude », au Couvent de Sainte Catherine, avec des descriptions hallucinantes du lieu et des moines qui résident là, fin XIXème siècle. Des pages très fortes qui donnent envie d’en savoir davantage sur ce qu’est devenu ce lieu.
Une très belle lecture qui ouvre l’appétit pour ce qui suit : « Jérusalem ». Un sacré morceau également.