Le pays où l'on ne meurt jamais de Ornela Vorpsi

Le pays où l'on ne meurt jamais de Ornela Vorpsi
( Il paese dove non si muore mai)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Sahkti, le 21 avril 2004 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 720ème position).
Visites : 5 552  (depuis Novembre 2007)

L'ombre de l'Albanie

"Le pays où l’on ne meurt jamais est fait de poussière et de boue, le soleil y brûle au point que, parfois, les feuilles de vigne rouillent et la raison se met à fondre. De là vient peut-être, tel un effet secondaire (et, il faut le craindre, irrémédiable), la mégalomanie, délire qui, dans cette flore, pousse de manière incontrôlable, comme une herbe folle. De là, aussi, l’absence de peur, à moins qu’elle ne soit due à la forme de poterie mal façonnée qui est celle du crâne des autochtones, tordu et aplati, royale demeure de l’insouciance, sinon de l’inconscience."

Ornela Vorpsi est albanaise, elle vit à Paris depuis 1997 après un passage à Milan et son Ecole des Beaux-Arts. Ornela a fui son pays avec sa mère, elle éprouve encore souvent et violemment la nostalgie de celui-ci, des siens, de ses racines. Alors elle tente d’exorciser ce mal en écrivant. Le résultat ? Ce merveilleux recueil de nouvelles mélangeant horreur et philosophie, amour et sang, beauté et violence, toutes les facettes de l’Albanie, un peu comme si, à travers ces courts récits, elle dressait un portrait biographique de sa terre natale. Beaucoup d’humour et d’ironie pourtant dans ce texte d’Ornela Vorpsi, en particulier à propos de la pudibonderie qui animera les esprits machistes albanais auxquels le communisme ordonne de pratiquer l’égalité des sexes. Les manuels scolaires comprenant des tableaux (ces fresques historiques à la Delacroix) avec femmes dévêtues seront barbouillés, les femmes ne pourront séduire ou se montrer trop chaleureuses sous peine d’être traitées de putes.
Le père d’Ornela Vorpsi est arrêté par les sbires d’Enver Hoxha alors qu’elle a sept ans, elle ne le reverra que huit ans plus tard, le lien est brisé, ils seront presque comme deux étrangers, Ornela ne supporte pas cette situation, sa vie devient triste et morne, elle survit comme elle peut.
L’écriture est pour elle une renaissance. Son premier roman fut applaudi (et il le mérite) en Italie, le second est en préparation mais l’auteur souhaite d’abord s’exiler en résidence d’artistes à Kyoto pendant huit mois (puisse-t-elle lire Moreno avant de partir, ça lui donnera des idées…). Elle a déjà le titre de son second livre en tête : "Buvez du cacao Van Houten !" Pourquoi ce titre ? Parce que son ami écrivain Maïkovski lui a raconté que la marque de chocolat avait promis de donner une grosse somme d’argent à la famille d’un condamné à mort si celui-ci faisait sa publicité sur l’échafaud au moment de passer de vie à trépas. Anecdotique, sans doute erroné, mais symbolique de l’Albanie communiste où on ne mourrait jamais. Pas officiellement en tout cas, c’était le pays du bonheur et on l’affirmait haut et fort dans tous les slogans patriotiques.

Pour en savoir plus sur la vision d'Ornela Vorpsi, un entretien:
http://zone-litteraire.com/entretiens.php/…

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Les éditions

  • Le pays où l'on ne meurt jamais [Texte imprimé] Ornela Vorpsi trad. de l'italien par Marguerite Pozzoli en collab. avec l'auteur
    de Vorpsi, Ornela Pozzoli, Marguerite (Traducteur)
    Actes Sud / Lettres italiennes (Arles).
    ISBN : 9782742746118 ; 15,30 € ; 02/01/2004 ; 160 p. ; Broché
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Drôle et féroce

8 étoiles

Critique de Clarabel (, Inscrite le 25 février 2004, 48 ans) - 6 octobre 2005

Albanie est à la fois sensuelle et cruelle, c'est aussi "un pays où l'on ne meurt jamais", contrairement à ces eldorados au-delà des mers qui rendent les exilés plus vulnérables, plus mortels également. Mais avant de s'envoler vers un ailleurs plus capitaliste et libertaire, la jeune Ornela Vorpsi se penche vers son enfance et son adolescence dans un pays à la gloire de la Mère-Parti, qui cingle les fesses des jeunes filles de coups de fouet, lave la bouche de savon noir si trop de mysticisme en sort, couvre les corps d'un short noir immonde pour le sport ou d'une vareuse étriquée pour l'entraînement militaire. On cache les filles, on cache les formes naissantes - on les protège des tentations, des perversions, d'une destinée de "putinerie". Ou bien c'est la noyade dans le lac de Tirana. Trop d'amour, ou manque d'amour... certaines jeunes filles ont l'indélicatesse d'être enceintes sans fiancé, sans mari. L'avortement étant interdit, les faiseuses d'anges opèrent un sale boulot qui entraînent souvent vers la mort. Ou bien l'autre solution pour les femmes est de se faire coudre et recoudre ! Cela se passe de commentaires...

La jeune Ornela, ou Elona, Eva, etc..., grandit auprès d'une mère à la beauté somptueuse. Un jour le père disparaît. On le retrouve dans une prison au nord du pays, roué de coups, amaigri et les dents en moins. Au lieu d'attendre le retour d'un mari finalement violent et volage, la mère divorce et retourne vivre chez ses parents, avec une petite, ébahie, éblouie, séduite par tous ces va-et-vients. L'enfant subit non pas une mais deux matrones qui lui reprochent d'être la fille de son père ! Le seul recours : la maladie et les contes de Grimm. Et il lui en arrive à cette petite, dont le regard, innocent et éclairé, met en scène des situations cocasses et risibles, au détriment de ses acteurs. Au total, quinze tableaux dessinent le paysage d'un pays et de ses habitants - les Albanais sont ainsi un peuple fier, amoureux et souvent contrit, également viril, adorateur de la sensualité et de la beauté. Ce premier livre d'Ornela Vorpsi condense à merveille toutes les particularités de son pays natal, par le biais de souvenirs désenchantés mais cultivés avec humour. J'ai davantage aimé celui-ci que son deuxième livre, Buvez du cacao Van Houten, dont j'ai déjà écrit un commentaire à son sujet.

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