Macron par Macron
de Éric Fottorino, Emmanuel Macron

critiqué par Numanuma, le 5 mai 2017
(Tours - 51 ans)


La note:  étoiles
Cool, un candidat avec mon prénom
Quoi qu’il arrive au soir du 7 mai 2017, ces élections feront date. L’envie de dégager les vieux briscards de la politique, la caste, l’oligarchie, qui a marqué la campagne des divers prétendants a joué à plein et a rendu un terrible verdict : dehors les partis traditionnels, dehors également l’ennemi le plus acharné des barons de la politique, des cadors de la finance, des princes du CAC 40, Jean-Luc Mélenchon, victime autant de son succès aussi inespéré qu’insuffisant, que de son âge et de sa carrière politique. De tous, il est le plus âgé et le plus expérimenté. C’est aussi un ancien du PS. Sa rhétorique s’est peut-être retournée contre lui.
Quoi qu’il en en soit, il faut noter la lucidité d’Eric Fottorino, qui, dans l’avant-propos de ce recueil d’interviews avec Emmanuel Macron, paru au moins 2 mois avant le résultat du premier tour, annonçait « les mieux placés dans la course, au moment où sèche notre encre, sont deux candidats plus antisystèmes que les autres, à savoir Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Avec ce constat troublant que pour des raisons diverses, les vainqueurs de primaires des grands partis courent le risque de ne pas figurer au second tour de la présidentielle ». Décidément, le mot « système » sera le marqueur de cette élection. Quant à savoir ce qu’il signifie et représente, je laisse les sémiologues se pencher sur le sujet.
Ce recueil regroupe 2 interviews réalisées pour, je ne le dirai jamais assez, l’excellent hebdomadaire le 1, parues le 8 juillet 2015 et le 13 septembre 2016, dans 2 numéros consacrés à Emmanuel Macron, ainsi qu’une 3ème réalisée en vue de cet ouvrage. Le livre est complété par 2 portraits rédigés par le candidat suite aux décès de 2 de ses pères spirituels en politique, Michel Rocard et Henry Hermand, ainsi que par des courtes analyses rédigées par Eric Fottorino, Marc Lambron, Natacha Polony et Vincent Martigny.
Avant tout, quelques repères biographiques.
Emmanuel Macron (quel beau prénom, oui, c’est le mien aussi, et alors) nait en 1977 à Amiens d’une mère médecin conseil à la Sécurité Sociale et d’un père neurologue. Il passe son bac à Henri IV, à Paris, passe une DEA de philo sur Hegel, un diplôme de Science Po puis intégre l’ENA, dont il sort 5ème. Un élève brillant donc, qui choisit l’inspection des finances. On imagine qu’avec un tel parcours les portes s’ouvrent seules.
Son choix s’explique probablement par le fait que les finances sont une voie royale vers la politique. Ce ne sont pas Juppé ou Rocard qui viendront me contredire. L’inspection des finances, c’est une élite très autonome et très informée. En bon philosophe, Macron y a vu le moyen de « mettre en relation l’espace théorique et le réel ». En 2002, il soutient Chevènement, entre au PS et choisit de mettre ses compétences, très recherchées, au profit de François Hollande. En 2007, dans le cadre de ses fonctions aux finances, il travaille pour la commission Attali, voulue par Sarkozy. Un groupement très libéral. Ses recommandations plaisent à Sarkozy : réduction des cotisations sociales, hausse de la TVA, création de la rupture conventionnelle, réforme de la représentativité syndicale…
Macron semble avoir un problème relationnel avec les corps intermédiaires : « Les principaux blocages de notre société viennent des corporatismes, des corps intermédiaires et du système politique. Pour autant, je ne suis pas l’ennemi des corps intermédiaires. » Pourtant, il ajoute plus loin : « Mais dans la plupart des cas, syndicats et partis défendent les intérêts de ceux qui sont dans le système ».
Toujours en 2007, il entre chez Rothschild grâce au carnet d’adresse constitué au sein de la commission Attali. Il devient vite associé-gérant. Son cœur de métier est le conseil financier, plus particulièrement dans le cadre d’opérations de fusion-acquisition, pratiques tout à fait légales mais qui laissent souvent sur le carreau de nombreux employés. Là encore, son carnet d’adresse est fort utile, ce type de montage financier demandant de la finesse, de la diplomatie en plus des connaissances techniques spécifiques, et pas mal de recommandations.
En 2012, il est nommé secrétaire général adjoint de l’Elysée, ce que Marine Le Pen ne s’est pas privée de rappeler lors du débat de l’entre-deux tours, évoquant la pratique du pantouflage. Certes, il y a des règles. La formation dispensée aux hauts fonctionnaires est pointue et chère, environ 83 000€ par étudiant. Devenu fonctionnaire, il faut donner 4 ans à l’Etat. Passé ce délai, il est possible de se mettre en disponibilité pour 10 ans, de travailler dans le privé et d’améliorer rondement son salaire, avant de revenir dans le giron de l’Etat, sans rien justifier.
Il semble que le jeune loup de l’Elysée soit écouté du Président. Il conçoit le principe du CICE (même s’il avouera, 2 ans plus tard, que c’est « un échec ») et réussit à faire échouer le projet, pourtant très prometteur et sensé, de séparation des banques de prêt et d’investissement. La guerre à la finance du candidat Hollande a tourné court.
En 2014, il quitte son poste mais est vite rappelé à Bercy, remplaçant Montebourg, et n’attend pas deux ans pour lancer son mouvement avec le succès que l’on connaît.
L’intérêt de ces interviews est de montrer l’homme devant le candidat. Il faut rappeler que derrière l’homme politique, l’ambitieux avance à découvert, le candidat, lui, est un peu plus discret. Mais comme on n’est pas chez Paris Match, le propos est un peu plus élevé, dirons-nous.
On ne s’invente pas une passion pour la philosophie. La matière est trop aride pour faire semblant mais son application pratique peut être porteuse de plaisir. Macron le dit, il veut mettre en application, ce qui n’est pas sans rappeler Chèvenement évoquant ses souvenirs de 1981, alors que la Gauche arrive au pouvoir. Chevènement qualifie l’homme qu’il était alors de « fort en thème », façon de dire que si la théorie était une seconde nature, la pratique se révélait ardue. Il a fallu apprendre sur le tas. Personne n’avait précédé la Gauche au gouvernement.
Marcon a la chance de ne pas avoir à essuyer les plâtres. Il sait où il met les pieds, sait quand mettre les patins sur le parquet et quand chausser ses gros sabots. Et croit à « l’idéologie politique » car c’est « un travail de formalisation du réel ». Il faut « se confronter sans cesse au réel, s’adapter, réviser en permanence ses principes ». Et cela sans conflit entre sa propre idéologie et celle imposée par les partis car, à l’en croire, « les partis ne vivent plus sur une base idéologique. Ils vivent sur une base d’appartenance et sur la rémanence quotidienne de quelques idées ». Difficile de ne pas le croire dès lors que son projet est capable de rassembler aussi bien des communistes que des vieux routiers de la droite. Sur sa personne se projette un terrible constat : la politique est devenue un repaire de solutions pragmatiques dénuées de passion dans lequel il faut nager, souvent à contre-courant, afin d’exister.
Quant à ceux qui refusent de jouer le jeu, ceux qui gardent encore une part de foi dans leur dogme, ceux qui préfèrent assumer plutôt que de plier, en plus de perdre, ils deviennent incompris à force de ne pas vouloir rentrer dans le rang. Arlette Laguillier en 2002. Mélenchon en 2017.
Curieusement, Macron, pour qui « être élu est un cursus d’un autre temps », n’hésite pas à se voir déjà en haut de l’affiche : « la démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du Roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. (…) Après lui (de Gaulle), la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction ». Que l’on n’attende donc pas de lui d’être un président normal. Ni d’en finir avec la monarchie présidentielle. Et comme l’homme est cohérent, il « croit au roman national », c’est-à-dire une valorisation de la nation par un enseignement teinté de patriotisme, la France de Lavisse et de Michelet, un roman dont la France est évidemment l’héroïne.
Il précise sa pensée dans le magazine L’Histoire d’avril 2017 : « J’ai parlé de roman ou de récit national parce que précisément je ne crois pas à la segmentation de notre histoire en épisodes clos sur eux-mêmes. (…) Que l’histoire segmentée mise au service des idéologies ne livre pas les clefs nécessaires pour forger les réponses au monde qui vient ». Emmanuel Macron place donc son action politique dans le temps long. A l’inverse d’un Sarkozy qui légiférait à chaque fait divers. Sans pour autant renier son autorité, autre signe que le Roi en sur le chemin du retour aux affaires : « Agir avec calme et autorité. L’autorité ne se mesure pas à la magnitude du réflexe sécuritaire. (…) La vraie autorité est de ne pas se laisser imposer l’ordre des choses par ceux qui nous assaillent. Ce qui est moral, c’est la capacité des gouvernants à ne pas se laisser dicter leurs décisions par la tyrannie des événements. (…) L’autorité n’est pas le diktat impérieux ni les discours revanchards de la télévision. C’est l’intransigeance. Ce sont des décisions graves, et parfois d’une grande brutalité. C’est décider le moment et imprimer le sens de l’action que l’on conduit ».
Bref, l’Etat garant de la protection de chacun est une proposition de campagne qui entre en résonance avec les événements tragiques survenus en France depuis plusieurs années. Quelle forme prendra cette orientation sécuritaire ? Quant à ceux pour qui la réponse passe par plus de liberté, de métissage, de compréhension de l’Autre, de dialogue, ben, faudra revenir dans 5 ans.
La vision de Macron sur l’Etat est également européenne : « l’Etat est plus efficace s’il sait articuler sa souveraineté avec une vraie souveraineté européenne. (…) Nous devons penser la place de l’Etat à travers l’Europe ». On imagine la tête des souverainistes en lisant ça… On le sait, pour Macron la France n’est forte qu’au sein de l’UE mais on parle bien de force économique ! Le candidat est un grand admirateur de la politique de Margaret Thatcher ! De plus, son réseau est bien fourni en représentant de la french tech, entrepreneurs ayant très bien réussi, Xavier Niel (Free) ou Patrick Drahi (SFR), ce genre de calibre. Tous adeptes plus ou moins déclarés de la dérégulation.
Pour Emmanuel Macron, les choses sont assez claires : moins d’Etat dans l’économie, plus dans la protection des biens et des personnes : « Je pense toutefois qu’il faut moins d’Etat dans la société et dans l’économie. A vouloir surréguler, l’Etat s’est affaibli et s’est transformé en étouffoir. On le voit pour ce qui relève de l'entrepreneuriat. On a longtemps considéré que l’Etat devait se substituer à la société pour agir et que la norme permettait de protéger le faible, selon la philosophie de Lacordaire. Ce n’est plus vrai dans un monde ouvert. Quand la norme surréglemente, elle entrave. (…) Dans la vie économique, l’Etat norme trop. Je crois qu’il est légitime, dans certains secteurs, de réfléchir à moins d’Etat, car il est plus efficace et juste de laisser la société respirer, la créativité s’exprimer. Cette vision correspond davantage au type de société et d’économie dans lesquelles nous sommes entrés ».
« L’Etat garde un rôle fondamental, avec ses structures protégeant les individus. Je crois qu’il a un rôle encore plus grand à jouer pour apporter les sécurités universelles dans un monde qui change. » Bref, la loi El Khomri, c’est bien et l’Etat protège la propriété privée et garde la main sur la fourniture énergétique. Le tout au sein de l’UE afin de mieux lutter contre le dumping social imposé par des pays moins regardants mais dans lesquels les grands pays industrialisés, et concernés, n’hésitent pas à monter des usines tournant 24h sur 24 pour des salaires misérables.
Plus que le citoyen, c’est l’individu que Macron met au centre de son projet. Le citoyen vote mais l’individu achète, vend, consomme, se déplace. L’individu veut kiffer la vibe ! Il s’agit donc de promouvoir l’individu en tant qu’entrepreneur potentiel et donc créateur de richesses. Ce qui passe par un aplanissement général, l’abandon de niches fiscales et des régimes spéciaux. Mais la lutte contre la fraude fiscale n’est pas un élément fort du programme. Sur le papier, cette volonté de mise à égalité est tentante mais dans les faits ? Prenons les retraites. Emmanuel Macron défend un « système universel de retraite », ce qui sous-entend l’alignement du public et du privé. Dans la pratique, cela revient à remplacer le système de retraite par répartition par un système individuel, chaque individu cumulant à titre personnel des points pendant sa vie active. Avec uniformisation des caisses de retraite, donc moins de formalités administratives. Pourquoi pas ?
Sauf que ce système, séducteur malgré tout, ne prend pas en compte la pénibilité du travail, le montant du point étant identique pour tous. De plus, le montant de la retraite ne dépend plus du montant du salaire mais du point, lequel peut varier en fonction de l’espérance de vie. Il me semble que monsieur Macron est revenu sur ce point lors du débat de l’entre-deux tours mais, les invectives fusant à tout moment, j’avoue avoir perdu le fil et ne plus me souvenir précisément de ce qui a été dit.
Que dire d’Emmanuel Macron finalement ? D’un côté, on peut saluer la percer spectaculaire d’un homme sans appareil dont le parti n’a pas encore 3 ans d’existence, d’un homme jeune, certes jamais élu, mais on a connu un Premier Ministre qui n’a pas connu les suffrages non plus, un homme plein d’enthousiasme et de charisme et entouré d’excellents communicants. Et sans affaire douteuse aux fesses !
On peut aussi considérer qu’il est aussi le produit, très réussi, d’une tradition technocratique typiquement française qui cultive l’entre-soi et les connivences, les menus services et les renvois d’ascenseurs. Oui, il s’est fait seul en politique mais son ascension a été bien suivie et encouragée. On ne récolte pas 9 millions de dons pour sa campagne seulement sur sa bonne mine. On peut craindre, ou espérer, également que son arrivée à l’Elysée ouvre la porte à une nouvelle génération de ministres issus du monde des affaires, sans plus d’expérience que leur leader. D’autant plus qu’Emmanuel Macron a promis de nouveaux visages.
Mais ce qui sera le plus compliqué pour lui, qu’il finisse gagnant ou pas, sera de faire oublier son statut de choix par défaut, ce que ses adversaires ne manqueront pas de rappeler. Dès les législatives.