Wild Cards de George R. R. Martin

Wild Cards de George R. R. Martin
(Wild Cards )

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone , Littérature => Fantasy, Horreur, SF et Fantastique

Critiqué par Numanuma, le 10 mai 2017 (Tours, Inscrit le 21 mars 2005, 51 ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 3 756 

Main gagnante ?

Georges RR Martin est un malin. Un gros bosseur et un malin. Et il faut l’être pour piloter un tel projet, groupant divers auteurs, dont Martin himself, autour du même sujet, tout en conservant la cohérence du scénario et sans tomber dans le piège du catalogue.
Ici, pas de régicide, de sorcière ou de zombies, pas de roi dérangé ni d’inceste. Mais on rigole quand même !
En 1946, un virus extraterrestre tombe sur la Terre, élimine 90% de la population. En vrai, et comme d’habitude, le monde se résume aux USA mais bon… Les 10% restant se trouvent affublés d’une mutation génétique qui leur donne, soit des supers pouvoirs, ce sont les As, soit des pouvoirs tous pourris qui s’apparentent à des malédictions. Du genre, c’est quoi le pire : avoir une apparence normale mais n’avoir que le pouvoir de faire pousser ses sourcils tout en étant regardé comme le dernier des tordus ou imposer le respect grâce à une force supérieure mais avec l’apparence d’Elephant Man mixé avec Alien ? Ce sont les Jokers. Il y a même des 2, c’est-à-dire des humains dotés d’un pouvoir qui pourrait être utile mais trop limité pour en faire des As.
Là où Martin est malin, c’est que ces multiples nouvelles ne sont pas basées sur l’opposition As/Joker, ce qu’on pourrait attendre, le monde de supers héros étant la plupart du temps assez manichéen. En fait, les As, s’ils ont le bon goût de ne pas porter le slip au-dessus du futal, ni de combi moulax, sont de bien piètres héros. Leur propre intérêt prime et ce ne sont pas des parangons de vertu, plutôt du genre à aimer la bonne bouffe et la bibine, le cul, le pouvoir et la dope. Rock n roll quoi ! D’ailleurs, Mick Jagger et Jim Morrison font des apparitions dans le bouquin. Le personnage du Marionnettiste est une merveille, un cynique manipulateur dangereux et totalement invisible. Le Dormeur, lui, possède le pouvoir le plus original que je connaisse. Je n’en dis pas plus, ça vaut le coup.
La damoiselle en détresse devra attendre un peu avant de voir débarquer un chevalier costumé.
Parqués dans Jokertown, les Jokers survivent comme ils le peuvent malgré les difformités dont ils sont affublés par le virus. Toutes ressemblances avec des ghettos afro-américains est parfaitement normale.
Au milieu de tout ce bazar, un personnage extravagant, le docteur Tachyon. En fait, il s’agit d’un savant extra-terrestre de la planète Tachis qui connaît le virus et qui débarque pour tenter de réparer les dégâts. Personnage attachant affublé d’un look au goût douteux pour nous terriens mais terriblement tendance pour ses pairs sur sa planète natale, perdu au milieu des dégâts causées par le virus, plein de sentiment de culpabilité puisque c’est en venant prévenir la Terre que la catastrophe a lieu.
La où Martin est malin, c’est que, contrairement aux héros Marvel ou DC Comics, qui sont pour beaucoup des enfants d’accidents atomiques ou nucléaires, les As et les Jokers ont une unique origine commune, le xenovirus. Les As et les Jokers sont un peu le résultat d’un croisement entre les X Men et les Watchmen, voire Batman, dans ce qu’il a de plus sombre. Leurs pouvoirs ne sont pas le ressort de l’histoire. Ce sont des gens ordinaires qui se retrouvent avec des capacités qu’ils n’ont pas demandé à avoir. Les questions du regard des autres, de la place dans la société, du rapport à la loi sont là, sous-jacentes. D’ailleurs, la majorité des pouvoirs présentés ne sont pas d’une grande originalité (télékinésie, force surhumaine, capacité à voler…) mais certains sont très intéressants, voire bizarre ou dérangeant, comme Fortunato, qui alimente ses capacités en absorbant l’énergie sexuelle. Ce sont des héros sombres et réalistes, pas invincibles, toujours à la limite entre les deux côtés de la Force.
La où Martin est malin, c’est qu’il revisite notre siècle, depuis 1946, à travers le prisme du virus et des conséquences sur notre monde. Ainsi, le sinistre sénateur McCarthy ne s’attaque-t-il plus uniquement aux communistes mais également aux As et aux Jokers, par exemple.
Même si les 5 recueils déjà parus en France rassemblent des nouvelles que l’on pourrait croire éparses, il y a toujours un trait d’union entre elles. Des personnages se retrouvent, des événements se suivent. L’univers garde force et cohérence. Il s’agit donc d’un univers construit répondant à certains critères et tous les auteurs se sont fondus dans le moule. Drôle de moule en vérité car l’inspiration principale de Georges RR Martin (avec 2 R, comme JRR Tolkien…) est un vieux jeu de rôle permettant d’incarner un super héros (terme jamais employé dans les nouvelles). Une des caractéristiques de ce jeu est de pouvoir customiser son personnage en l’affublant de tares afin d’augmenter ses pouvoirs. Voyez le professeur Xavier, en chaise roulante mais un cerveau surpuissant. C’est l’idée. D’un jeu, d’un univers considéré comme geek, il a fait une œuvre littéraire riche et variée, même si l’excellent côtoie le moyen. Je me demande même si la BD Lanfeust de Troy ne s’inspire pas, en partie, de cette série car sur Troy, chaque individu dispose d’un pouvoir spécifique, jamais surpuissant mais la combinaison de tous les pouvoirs peut être redoutable. De même, si le pouvoir est utilisé de manière différente en fonction de la situation : Lanfeust a le pouvoir de faire fondre le métal du regard, il est forgeron. Pouvoir bien utile si cela fait fondre l’épée de son adversaire.
Bref, ce qui aurait pu être un foutoir illisible constitue finalement une uchronie parfaitement maîtrisée qui interroge le lecteur. Finalement, si l’on veut continuer à faire un parallèle avec les comics, il faut se référer à des épisodes particuliers des années 80. Au sein des séries Marvel, il y avait une variation sur le thème « Et si ? » qui, en peu de pages, offrait un regard différent sur les super héros. Je me souviens parfaitement de « Et si Tony Stark (Iron Man) avait été boulimique et pas alcoolique » qui envisageait un héros bouffi, trop gros pour intégrer son armure, accro à l’Alka Seltzer. Un As, un Joker, un 2 ?
Il est malin Martin…

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