La robe bleue
de Michèle Desbordes

critiqué par Sahkti, le 26 avril 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Intimité
"La Robe bleue", c’est l’histoire d’un enfermement, celui de Camille Claudel, à laquelle Michèle Desbordes rend ici un bel hommage en forme de roman. Il ne s’agit pas d’une biographie, il est utile de le préciser mais d’une quête, celle du personnage de Camille Claudel que l’on découvre au fil des pages grâce aux jolis mots de la narratrice.
Celle-ci serait Camille Claudel. Nous apprenons dès le départ qu’il s’agit d’une vieille dame qui attend son frère, assise dans le parc de l’asile de Montdevergues. Le frère se nomme Paul Claudel. Une ambiguïté qui ne sera jamais tout à fait levée, même si Michèle Desbordes induit des éléments permettant d’y voir plus clair. Le récit est habilement découpé en deux. Dans la première partie, nous suivons pas à pas le parcours de cette vielle dame bien sage, de sa rébellion à sa résignation, voire sa soumission. Qui est Camille ? Tout est-il vrai ? Peu importe finalement tant on se laisse facilement emporter par l’histoire et les mots, tant on se laisse griser par ce destin hors du commun.
La seconde partie du roman raconte la vie à l’asile, trente ans de réclusion dans la région d’Avignon, des entretiens (fictifs) avec des pensionnaires, des infirmières, des amis. Trente ans d’errance servant de toile de fond à une relation qui prend le dessus sur tout le reste : la relation entre un frère et une sœur. Deux êtres qui s’aiment, qui se protègent, qui s’attendent.

Attendre… c’est certainement le terme qui résume le mieux ce texte si touchant de Michèle Desbordes. Paul attend que Camille sorte de sa bulle, Camille attend que Paul vienne la chercher. Sans parler des autres attentes, plus intimes, plus sentimentales (Rodin est présent dans le livre et joue un rôle dans cette errance-attente à l’asile).
Pourquoi la robe bleue ? Parce que le bleu c’est la couleur de la mer, de l’océan, cette vaste étendue d’eau promise par Paul à Camille, passer une journée au grand air et à la mer. Une journée rêvée par Camille, qu’elle imagine et nous raconte, elle se serait livrée à Paul, lui aurait parlé de la vie et de ses attentes. C’est si beau ! Michèle Desbordes a vraiment su trouver les mots doux et tendres pour caractériser cet amour fraternel et aborder la fin de vie d’une femme meurtrie et pourtant si lucide sur la vie et l’amour.
Cette conversation de fin de récit est belle, émouvante et tant pis si elle n’a jamais existé, il est trop bon d’y croire et de refermer le livre les yeux clos en imaginant une Camille heureuse alors qu’on sait qu’elle est partie dans l’indifférence générale et le désespoir le plus complet, en emportant Paul Claudel dans son cœur et son âme. Merci à l’auteur pour cette mise à nu en douceur et ces émotions violentes qu’elle nous offre.
De la malédiction du don et de l'amour 10 étoiles

Il fallait oser s'attaquer à un récit comme celui-là !
Il fallait en avoir la plume ! Restituer l'esprit, l'histoire de cette femme hors du commun, oser s'attaquer à cette souffrance, oser essayer de décrypter les raisons, les interactions qui ont mené Camille Claudel à cet enfermement dont elle ne ressortira pas.

Michèle Desbordes y a excellé. Je gardais un souvenir ému de "La demande". Ici, j'ai retrouvé non seulement la plume de cette auteure trop vite disparue mais la vie hors du commun de Camille Claudel. Reste à retourner retrouver ses sculptures au musée Rodin.

Quant à l'écriture :

La mère dont elle rêve quand elle est internée :
« (…) elle rêvait encore d'elle dans l'ombre du jardin de Villeneuve, pensant au jardin, pensant à Villeneuve et aux étés là-bas, la revoyant assise avec l'autre fille, la cadette, à l'ombre du tilleul où des après-midi entières elles cousaient et raboutaient les draps et les vieux linges et parfois, levant les yeux et parlant à voix basse, elles semblaient observer la maison et les fenêtres du grenier où elle, qui ne cousait ni ne raboutait, était montée pétrir sa glaise et la façonner, ou encore cogner à grands coups de marteau sur ses pierres, elles la voyaient passant derrière les fenêtres tandis qu'affairée, le feu aux joues et les cheveux défaits, elle allait et venait d'un bout à l'autre des mansardes avec ses poignées de terre ses arrosoirs ou son marteau, elle les voyait la regarder, et bientôt baissant les yeux sur l'ouvrage elles se taisaient ».

Deux mondes, deux regards dans des directions opposées. Et, des années plus tard, c'est l'enfermement de Camille Claudel qui sera décidé par la mère, la sœur et aussi le frère, Paul, le frère qui comprenait pourtant :

« Paul demandait qu'on la laissât tranquille, elle Camille, et quelle était cette façon qu'ils avaient dans cette maison de se quereller à longueur de temps, criant à son tour et prévenant qu'un jour ils partiraient, elle et lui, et personne, non personne n'entendrait plus parler d'eux. »

La sœur et le frère :
« Ils criaient avec la mère, emplissaient la maison de leurs cris et haussements de voix, et bientôt restés seuls ne trouvaient plus rien à dire, ils restaient là à se regarder, et parfois on ne les entendait plus de tout le reste du temps, ils pouvaient demeurer des heures à se taire, ils n'avaient guère besoin de rien dire, tout se voyait sur leur visage de l'amour et de la haine, et de cette sorte de souffrance qu'ils avaient à regarder le monde. »

L'élève et le maître, Auguste Rodin :
« (…) et ils étaient là tous les deux, oublieux des autres, l'élève et le maître à qui bientôt elle se soumettrait avant de le soumettre à son tour, faisant durer le temps, faisant durer le trouble et l'attente, et ce n'était ni ruse ni coquetterie, mais préserver sans doute ce qu'il y avait à préserver de la sorte de paix de ces jours-là, comme si elle, qui n'avait jamais aimé, savait déjà les bouleversements, les violences que ce serait. »

La violence, il y en a dans ce roman-récit-biographie. A tordre les yeux de larmes tant il est douloureux d'imaginer. Et il n'est pas possible, je crois, de ne pas imaginer.
Mes yeux ont donc glissé avec beaucoup d'émotion sur des phrases où rien ne heurte, où tout est si magnifiquement mis à sa place.

Garance62 - - 62 ans - 10 mai 2010


un style trop lourd 3 étoiles

J’ai eu beaucoup de mal à terminer ce livre, que je n’ai donc pas aimé. Quelle est cette haine du point qui fait qu’une phrase dure une page et demie ? Quel est cet amour des « et » qui en trouve même pour commencer un nouveau chapitre et qui en met dix par phrase ? Je n’ai pas lu d’autres livres écrits par M. Desbordes et donc je ne sais pas si son style littéraire est toujours le même. La question que je me pose est celle-ci : la soupe que constitue le style littéraire de ce roman tend-elle à refléter la folie de Camille Claudel ??? Sinon, je ne vois pas comment la justifier. Les répétitions sans fin (« elle pouvait le reconnaître, elle le reconnaissait, ne connaissait que lui »), les supputations innombrables parsemées de « peut-être » rendent le récit très lassant et lourd. L’histoire est un mélange très imprécis des époques de la vie de Camille Claudel. Les passages se répètent et le livre peut finalement se résumer à quelques idées de base très vite résumées.

Pascale Ew. - - 57 ans - 8 septembre 2006


Evocation de l'attente 8 étoiles

Michèle Desbordes nous offre ici un émouvant hommage à la figure tragique de Camille Claudel. "Tout est-il vrai?" Peut-être pas. A vrai dire, pas plus que Sahkti ou Rotko, je ne me sens capable de répondre à cette question. Mais peu importe, tant Michèle Desbordes trouve les mots justes pour évoquer le sentiment d'isolement que Camille Claudel a - peut-être - ressenti, enfermée loin des siens dans cet asile d'Avignon. Plus qu'un réquisitoire contre son frère Paul, j'ai vu dans "La robe bleue" une évocation très belle et très sensible de la solitude qui se fait de plus en plus pesante et surtout de l'attente, obsessionnelle, pour un signe, une lettre, une visite de ce frère à la fois cher et lointain.

Un très beau livre qui dépeint des émotions violentes, de celles que l'on préfère souvent laisser dormir et que Michèle Desbordes nous permet ici d'affronter tout en douceur et en lenteur.

Fee carabine - - 50 ans - 30 avril 2005


Camille Claudel, la délaissée. 8 étoiles

Sakhti disait "Qui est Camille ? Tout est-il vrai ? Peu importe finalement tant on se laisse facilement emporter par l’histoire et les mots, tant on se laisse griser par ce destin hors du commun".
J'aime bien quand même, s'il s'agit de personnages réels savoir si on me raconte des fariboles ou si on s'appuie sur des faits, sinon avérés , du moins plausibles :-)

Certains livres ont une musique. Avec celui-ci, on pense à un adagio de célébration et de déploration. "Célébration" car ce texte est d'une grande sensualité, quand il rappelle la beauté de la jeune fille, ses cheveux qui forment un casque, qui font se retourner les passants, qui chavirent le vieux Rodin. Elle est très belle, Camille, et c'est une ardente amoureuse dont les mains sculptent après le plaisir des corps entrelacés. On la voit totalement prise par l'amour de la glaise, se dévouant au travail de la pierre comme à un sacerdoce.

Cet aspect rend son déclin plus poignant, quand elle détruit au matin ce qu'elle n'a pas réussi à faire la nuit, quand on la voit amaigrie et mal vêtue, négligée, non plus comme l'artiste qui n'a rien à faire des convenances, tout entière à son travail, mais comme une femme que l'inspiration et la grâce ont abandonnée.

On vit ses diverses attentes : attente d'une visite à l'asile, attente de la sculpture à naître, attente d'un amour épanouissant avec Rodin, attente des colis de sa famille - et de réponses à ses appels au secours.

Personnellement deux points me gênent : l'auteur impose un rythme lent de lecture, par l'emploi de pronoms personnels à identifier : "lui", est-ce Rodin, Paul Claudel, Camille etc...? je n'aime pas être tenu en laisse, et je piaffe...De plus cette histoire devient à mots [plus ou moins couverts] un réquisitoire contre Paul Claudel (cf extrait) et je n'aime pas trop les mises en cause personnelles.

L'écriture de Michèle Desbordes est très belle et demanderait une lecture orale. L'évocation tient de la poésie, à réciter, voire à déclamer.

"Une seule et même visite qu'il lui aurait faite, et que trente années durant elle aurait attendue, sur ce banc, devant la chapelle, ou la chaise qu'elle tirait sur l'herbe au bas du perron, lui Paul, avec ses chapeaux et ses manteaux, ses costumes élégants et coupés dans de si belles étoffes, ses costumes de consul, ses costumes d'ambassadeur, et sur tout le visage quand il la regardait cette amertume cette pitié dont il disait qu'il souffrait ; L'homme lourd et solide qui disait le monde en si belles phrases [...]lui, Paul, le maître de si belles phrases, de si beaux, de si magnifiques emportements" p 129-130

Rotko - Avrillé - 50 ans - 27 janvier 2005