Trois Textes
de Paul Valéry

critiqué par Débézed, le 9 juin 2017
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
De l'homme et de sa vie
Les Editions Louise Bottu semblent avoir pris l’excellente habitude de publier des textes peu ou pas connus d’écrivains célèbres passés un peu de mode. Une belle occasion pour ceux qui, comme moi, ont délaissé nos classiques du début du XX° siècle un peu absents des programmes de littérature quand j’étudiais encore. Ainsi, après avoir publié un essai sur l’argent de Charles Péguy, cette maison édite un recueil de trois textes de Paul Valéry.

Trois textes qui semblent n’avoir aucun rapport entre eux et pourtant en les assemblant on peut construire un raisonnement profond sur l’humanité, son fondement, ses principales préoccupations, son devenir.

Le premier texte intitulé « La soirée avec Monsieur Teste » évoque la nature humaine profonde. Monsieur Teste est malade, il a beaucoup vécu, il pourrait paraître désabusé mais n’a-t-il pas atteint un stade de sagesse élevé ? Il semble revenu de tout ce qui permet aux hommes de briller, toutes choses factices qui ne sont que créations des hommes. Et à contre courant de la pensée générale, Monsieur Testes n’apprécie que la facilité à comprendre les choses et non pas celles qui donnent de l’importance aux hommes qui les ont conçues, par leur complexité. « Je n’apprécie en toute chose que la facilité ou la difficulté de les connaître, de les accomplir. » « … je hais les choses extraordinaires. C’est le besoin des esprits faibles. Croyez-moi à la lettre : le génie est facile, la fortune est facile, la divinité est facile. Je veux dire simplement – que je sais comment cela ce conçoit. C’est facile. »

Le second texte intitulé : « La crise de l’esprit » évoque l’homme dans son environnement économique et géopolitique, l’homme comme être social vivant en groupe. L’auteur considère, en fait, plutôt l’homme européen, cet Hamlet intellectuel, qui se noie dans la fuite en avant des découvertes techniques en regrettant son passé plus rassurant. « … il a pour remords tous les titres de notre gloire ; il est accablé sous le poids des découvertes, des connaissances, incapable de reprendre cette activité illimitée. Il songe à l’ennui de recommencer le passé, à la folie de vouloir innover toujours. »

Ce conflit entre passé et futur, entre ordre et désordre, est souvent vecteur de conflit, de guerre. La guerre s’achève toujours par une paix même relative, ainsi l’auteur pense qu’il est plus facile de passer de la paix à la guerre que l’inverse. « Son Esprit affreusement clairvoyant contemple le passage de la guerre à la paix. Ce passage est plus obscur, plus dangereux que le passage de la paix à la guerre. » Il est aisé d’admettre que les va-t-en guerre passent plus facilement à l’acte et parviennent plus facilement à leurs fins que les diplomates chargés de réconcilier les belligérants.

Cette réflexion sur la vie en groupe, sur l’organisation sociale, amène l’auteur à se poser la question de l’avenir de cet Hamlet européen qui, à terme, pourrait voir sa prééminence s’étioler au profit de la masse asiatique. Paul Valéry formule même cette pensée qui pourrait-être prémonitoire : « L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire : un petit cap du continent asiatique ? »
Après avoir traité de l’homme et de son environnement, de l’économie, des choses nécessaires et utiles à la vie en groupe, l’éditeur a choisi de présenter un texte sur ce qui est inutile mais peut-être nécessaire aux hommes comme individu et comme membres d’un groupe social : « Notion générale de l’art ».

« Le mot ART a d’abord signifié manière de faire, et rien de plus. » Pour l’auteur l’art serait donc ce qui est parfaitement inutile à la vie des individus, ou des groupes d’individus, mais qui ferait vibrer ses sens, créerait des émotions, provoquerait toutes sensations inutiles mais agréables. Cette notion d’inutilité différencierait l’art de l’artisanat qui est production de biens utiles et même nécessaires et de l’Esthétique qui est la forme intellectuelle de l’art. Mais l’art peut devenir marchandise…

Trois textes courts qui soulèvent de nombreux problèmes et qui pourraient être prétextes à de bien longues dissertations en considérant la vie de l’homme dans sa globalité : son essence profonde, son environnement et les organisations sociales qu’il a fondées et enfin le plaisir spontané ou éduqué. Au lecteur de trouver le fil rouge qu’il voudra tisser entre ses textes.