La Société des poètes disparus est un film de Peter Weir qui se passe dans un lycée, où un professeur a réussi à emballer ses élèves pour la poésie. Plusieurs d’entre eux formèrent même un cercle littéraire secret afin que leur engouement pour cette discipline préside dorénavant à leurs cheminements. Comme il arrive dans un tel contexte, certains se laissent subjuguer par leurs sujets d’études, engendrant parfois des conséquences funestes pour l’entourage. Quand la mort devient le thème retenu, il est fort possible, selon Freud, que le membre le plus carencé réponde à ses pulsions mortifères.
Dans Le Rouge idéal, Jacques Côté aborde cette possibilité sous la forme d’un polar. Supervisés par un professeur émérite, des étudiants du Séminaire (lire lycée) de Québec se regroupent au sein d’un cercle, baptisé justement thanatos, afin d’apprivoiser la réalité de la mort. Les textes pessimistes des grands auteurs, tels Baudelaire, Cioran et Nietzsche, sont scrutés à la loupe. Il faut peu de temps aux étudiants en équilibre précaire pour qu’émerge leur instinct meurtrier. Ce qui devrait être sacré devient objet de profanation, comme le dénotent Les Fleurs du mal. L’adulateur se détourne de la femme aimée pour lui « infuser son venin ». La dérive extrême reliée au thanatos est la nécrophilie que l’auteur a retenue pour illustrer son propos.
Les détectives responsables de l’enquête ont du fil à retordre pour remonter la filière qui conduit à l’assassin des lycéens. Avant de trouver sa piste, ils doivent évaluer les soupçons qui pèsent sur une multitude de suspects. Dans leur travail, ils sont soutenus par le médecin légiste qui réussit à établir un certain profil de celui qu’il recherche à cause des méthodes employées. La main arrachée à un cadavre, par exemple, ne peut être l’œuvre que d’un expert. Donc, avant d’apprendre l’existence de ce cénacle, les enquêteurs de l’État (SQ) piétinent, sont même gênés dans leur travail par le corps policier municipal, frustré de voir que la résolution des crimes commis a été confiée à des collègues relevant d’une autre instance. Avant que ces différentes brigades ne s’entendent, des assassinats sordides continuent de se perpétrer, car le maniaque ne parvient pas à trouver parmi ses victimes, comme l’a écrit Baudelaire, « la fleur qui ressemble à son rouge idéal ».
Jacques Côté a eu l’idée heureuse en associant un polar à la littérature et à la philosophie, tout en respectant les normes de l’art romanesque. Son œuvre pourrait être une mise en garde contre les dérives funestes de l’enseignement. Professeur lui-même, l’auteur a sûrement réfléchi à la responsabilité qui incombe à ceux qui dispensent le savoir comme l’a fait Gilbert Cesbron dans Notre Prison est un royaume. Mais il s’agit avant tout d’une vraie enquête policière, menée avec maîtrise. Le portrait des policiers est bien esquissé, et leur travail est présenté avec méthode, en particulier celui des médecins légistes que l’Américaine Kathy Reich a fait connaître aussi par ses romans. La ville de Québec s’impose dans cette œuvre bien construite. Le travail policier doit s’ajuster à sa géographie, qui s’étale du pied d’une falaise à son sommet avec le Château Frontenac. Le Rouge idéal est bien incrusté dans le terreau de cette ville, mais reflète aussi les particularités sociales qui prévalaient en 1979.
En somme, un tour de ville qui s’arrête à ses institutions scolaires et policières, à ses bars et aux jeunes punks qui les fréquentent. Écrit dans une langue élégante, ce roman témoigne d’une décennie et d’un milieu bien vivant.
Libris québécis - Montréal - 83 ans - 28 septembre 2004 |