Paris la Rouge
de Rémi Kauffer

critiqué par Colen8, le 26 juin 2017
( - 83 ans)


La note:  étoiles
Un rang dont il n’y a pas lieu de se vanter
Ville-lumière dans le pays des droits de l’homme et du droit d’asile, ville universitaire ouverte à l’accueil des étudiants étrangers, ville touristique et culturelle, s’il n’y a pas lieu de s’en étonner, on peut néanmoins s’en effrayer : Paris qui a été une sorte de berceau des aspirants étrangers de tous bords à la révolution et au terrorisme, le demeure au fil des générations jusqu’à nos jours. Pire encore, ce sont maintenant ses propres ressortissants qui ont basculé dans les attentats de ces dernières années. Avec un art consommé du récit reconstitué sur 200 ans, un niveau de détails impressionnant sur les lieux, les dates, les biographies des individus cités, cet écrivain spécialiste des services secrets(1) fait défiler une cohorte continue d’hommes et de femmes dont la conscience politique radicalisée verra le jour, se développera, se transmettra pendant ou après leurs séjours parisiens. Le premier de la liste, Babeuf ayant adopté le prénom de Gracchus fera des émules longtemps après son exécution en 1794. Son utopie socialiste nourrira celle des Proudhon, Fourrier, Bakounine, Marx et Engels.
C’est la doctrine de Robespierre, complétée de l’expérience des communards parisiens de 1871 qui servira d’exemple aux bolcheviques minoritaires Lénine et Trotski en 1917 accueillis un temps durant leur exil. En retour le parti communiste français empressé de faire allégeance à Moscou(2), soutiendra sans réserve les anciens étudiants de nos universités, futurs chefs des guerres d’indépendance : Hô-Chi Minh en Indochine, Messali Hadj, fondateur du MNA (Mouvement National Algérien) avant d’être évincé par le FLN (Front de Libération National) un peu plus tard en Algérie. La révolution chinoise doit beaucoup à Zhou Enlai et Deng Xiao Ping venus passer quelques années en France à la fin du premier conflit mondial, de même que les Khmers rouges feront leur entrée sanguinaire à Phnom Penh en 1975 menés par Pol Pot, ancien discret et timide étudiant de la Cité Universitaire durant les années d’après-guerre. Au Moyen-Orient il n’est jusqu’à Michel Aflak penseur de la doctrine du parti Baas dont étaient issus les régimes autoritaires en Irak et en Syrie, jusqu’à l’iranien Khomeiny installé au pouvoir dès son retour d’exil en Île-de-France.
Les origines multiformes des actes terroristes perpétrés sur notre sol sont infiniment plus terrifiantes. D’autant que de tels actes n’ont pour ainsi dire jamais cessé sous la Vème république depuis les attentats du FLN, de l’OAS, les exactions de l’argentin Carlos, les combines troubles de l’égyptien Henri Curiel. Et qu’ils se sont multipliés après l’arrivée en 1981 d’une gauche par trop angélique. Paris, devenu le champ clos des enlèvements, prises d’otages, assassinats ciblés entre représentants des factions moyen-orientales continue à subir d’autres séries d’attentats meurtriers(3) depuis celui de la rue des Rosiers, dont près d’une quinzaine pour la seule année 1986. Pendant la décennie suivante, la guerre civile algérienne menée par le GIA a débordé par des attaques sanglantes notamment celle du RER de la station Saint-Michel. Dès 1995 la génération 1 de jeunes français radicalisée en faveur du salafisme et de l’islamisme politique va perpétrer des massacres à son tour. Et vingt ans plus tard nos dirigeants ont l’air surpris de mesurer l’ampleur d’un phénomène qu’ils ont préféré ignorer au nom d’un soi-disant modèle d’intégration bloqué depuis les accords d’Evian en 1962 pour des raisons que Rémi Kauffer explique très clairement.
(1) Il semble avoir appartenu à leurs rangs (ou en avoir été proche) et publie une abondante bibliographie sur chacun des chapitres de ce livre-ci.
(2) Il est renforcé d’une partie des intellectuels français.
(3) Y ont participé dans le désordre les Fraction Armée Rouge allemande, les Brigades Rouges italiennes, les Brigades Internationales puis Action Directe animées par de jeunes français, les activistes espagnols, irlandais et tant d’autres.