Une existence tranquille
de Kenzaburō Ōe

critiqué par Saule, le 30 avril 2004
(Bruxelles - 59 ans)


La note:  étoiles
Des gens de rien.
Kenzaburo Oé, prix Nobel de littérature en 1994, a souvent écrit sur son fils handicapé mental. A la naissance de ce fils les médecins lui avaient conseillé de ne pas laisser vivre l'enfant, il ne suivit pas leur conseil et cet enfant est devenu le centre d'affection de toute la famille et (tout comme dans ce livre) un compositeur musical.

Dans "Une existence tranquille" on retrouve donc cet enfant handicapé, entouré de sa soeur Mà, une jeune fille excessivement attachante à l'entrée de la vie adulte et d'un frère plus jeune. Les parents quant à eux sont partis en Amérique pour quelques mois et les enfants sont laissés à eux-mêmes.

Les relations entre la soeur et son frère handicapé mental sont merveilleuses, chacun protégeant tour à tour l'autre. D'ailleurs la plupart des personnages de ce petit livre sont lumineux de simplicité, de courage et de tendresse. La jeune fille, qui étudie la littérature française à l'université, prépare sa thèse sur Céline, et par quelques digressions sur Rigodon de Céline, dans lequel elle trouve une profonde humanité (ce qui n'est pas évident à première vue), elle est parvenue à me donner envie de lire ce livre.

Ce livre est une ode à la différence, au courage, à l'humilité (humilité bien comprise, dans son sens le plus noble). On peut reprocher à Kenzaburo Oé d'être excessivement compliqué à lire dans certaines nouvelles de "Dites-nous comment survivre à notre folie" par exemple mais ici c'est l'inverse : il nous donne un livre simple et limpide qui fait mouche.
Pas vraiment peinarde l’existence en question ! 8 étoiles

Kenzaburo Ôé aux manettes, … il ne va pas être question de choses simples, guillerettes, avec bonnes fées et gentils chevaliers ! Mais un enfant handicapé mental, ou délinquant, dans la famille parait un des ingrédients obligés des romans ou nouvelles de Kenzaburo Ôé. Ici c’est d’un enfant handicapé mental, Eoyore, dont il s’agit. Entre autres.
Il faut dire que la vie de Kenzaburo Ôé a été marquée – on le serait à moins - par la naissance d’un enfant handicapé. Qui, comme Eoyore dans le roman, à force d’attentions et de soins affectueux est parvenu à composer de la musique. Kenzaburo Ôé part donc d’un vécu conséquent.
Le père de cette famille, Monsieur K. (tiens ! K., comme Kenzaburo ?), écrivain japonais (tiens !) à la confiance en lui limitée, est invité dans une Université californienne pour plusieurs mois. Sa femme, exceptionnellement va l’accompagner. Plus manifestement pour veiller sur lui que pour le « fun » californien. Vont rester à la maison, seuls et c’est une première, leurs trois enfants, grands maintenant même si toujours étudiants et vivant dans la maison familiale ; Eoyore, l’aîné, handicapé mental avec un minimum d’autonomie, veillé par Mâ, sa sœur et quelque part aussi par le frère cadet Ô.
Le roman va être la chronique de la valse lente de la vie de ces trois êtres pour la première fois amenés à se gérer eux-mêmes, rédigée par Mâ, étudiante en littérature travaillant sur « Rigodon », de Céline (tiens Céline ! un des amours de littérature et influence reconnue de Kenzaburo Ôé !). Et quand on dit eux-mêmes ceci ne concerne évidemment pas Eoyore.
Tout est cohérent psychologiquement et va évoluer lentement. Nous verrons les liens se resserrer progressivement entre les deux frères, entre Ô, jusqu’ici plutôt individualiste, et Mâ, dévouée d’entrée à Eoyore. Une péripétie majeure, gérée en douceur par Kenzaburo Ôé, l’évolution douce d’Eoyore, comme un petit miracle quotidien, l’évolution des relations à l’intérieur de la fratrie, tout ceci fait le sel de ce roman japonais atypique. Atypique aussi bien pour l’image mentale que nous avons du Japon et de ses habitants que par rapport aux autres romanciers japonais.
Et souvenons-nous que Kenzaburo Ôé a reçu le prix Nobel de Littérature en 1994. Je me demande, compte tenu de la spécificité des héros ainsi que des situations traitées, souvent « borderline », dans quelle mesure ce prix n’a pas fait grincer des dents au pays du Soleil Levant ?

Tistou - - 68 ans - 31 août 2012