L'enfant en fuite
de Jean-Hugues Lime

critiqué par Cyclo, le 21 juillet 2017
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
une âme forte
Prenons Lazare Tcherkowitz, par exemple. Il a treize ans, il est juif, il est réveillé au petit matin par la police qui cerne l’immeuble où il habite, en ce mois de juillet 1942. Sa mère l’enferme dans un cagibi, avec interdiction de bouger : grâce à elle, il va échapper à la police française qui opère la grande rafle dite du Vél’ d’hiv’ et sauver sa peau. Encore lui faut-il sortir de l’immeuble pour échapper à la vigilance des gardiens, pétainistes et antisémites farouches. Mais enfin, il y arrive, il erre dans Paris, sans un sou en poche et finit par atterrir au cimetière du Père Lachaise dans le soir tombant : il a faim et soif, mais est sûr au moins que les morts ne sont pas antisémites !

Il a la chance de tomber sur Fernand, un titi parisien, de deux ans plus âgé, né sous une moins bonne étoile que Lazare, et contraint à survivre d’expédients. Laz’ a réussi à sauver un livre, "Le secret de Brech’Helien", qu’il connaît par cœur pour l’avoir lu plusieurs fois, et qu’il s’empresse de raconter à Fernand : c'est l’histoire d’un corsaire français (un peu pirate) du XVIème siècle qui a volé le trésor que Cortès renvoyait au roi d’Espagne, et dont il aurait gardé le diamant noir du dernier empereur aztèque dans la crypte du château où il est enterré. Les deux garçons rêvent de récupérer ce trésor, car Laz’ connaît le village de Brech’Helien, c’est là qu’il passait ses vacances avant-guerre.

Au petit matin, ils tentent de revendre à la sauvette les fleurs mortuaires fraîchement déposées sur les tombes, mais sont dénoncés par la fleuriste. Ils sont embarqués et condamnés pour vol et recel à être envoyés à la colonie pénitentiaire pour jeunes délinquants et orphelins de Belle-Île en Mer, véritable bagne, où les gardiens, sadiques et prévaricateurs, laissent les jeunes crever de faim pour revendre au marché noir la viande et les bonnes choses. Fernand et Lazare s’épaulent l’un l’autre, dans ce milieu hautement insécurisé, où règne la loi du plus fort, où les plus petits servent d’objets sexuels (les gironds) aux plus âgés (les marles), l’administration fermant les yeux.

Les nazis voulant récupérer le camp, les jeunes sont embarqués dans un train pour être conduits à Mettray, autre bagne d’enfants (rendu célèbre par Jean Genet). Les bombardements bloquent le train, et chacun sauve sa peau comme il peut. Laz’ en profite pour filer vers la Bretagne et Brech’Helien, où il est fort mal reçu par le patron de l’hôtel où il venait en vacances. Mais Marion, la nièce du patron, le protège... Je n’en raconte pas plus.

"L’enfant en fuite" est un formidable roman populaire, comme Eugène Sue, Alexandre Dumas ou Gaston Leroux savaient les trousser, très documenté sur l’occupation nazie, le marché noir, le petit groupe des indépendantistes bretons affiliés aux nazis, la construction du Mur de l’Atlantique, les raffinements de violences et de tortures, les résistants de la dernière heure et les femmes tondues... C’est plein de rebondissements, d’un réalisme noir et cru dans les détails, les personnages nombreux sont crédibles, et l’écriture très vivante, savoureuse même de l’auteur (on pense parfois à Alphonse Boudard), rend un hommage aux rêves tirés de la littérature. Lime garde toujours un peu d’espoir et ponctue même les scènes les plus terribles d’un zeste d'humanité. Si on suit avec passion les aventures de Lazare, le personnage de Fernand, qui est davantage une victime de la tragédie humaine, prend une ampleur extraordinaire.

Une très belle réussite dont on a trop peu parlé ! et étonnamment absent des bibliothèques publiques (Bordeaux notamment) !