En France
de Eugenio Montale

critiqué par Septularisen, le 6 août 2017
( - - ans)


La note:  étoiles
Et le cormoran, quand vient le soir, est la seule sentinelle qui demeure pour garder cette tombe...
Si l’auteur italien Eugenio MONTALE (1896-1981) est surtout connu comme poète, il a aussi fait une carrière comme journaliste et écrivain (accessoirement il a aussi été peintre, chanteur, homme politique, conteur, traducteur, critique littéraire et musical, d’art et de mœurs…). Francophone et francophile, il visite tous les ans la France entre 1950 et 1962 (la France lui est d’ailleurs déjà familière, puisque sa première visite dans le pays date de septembre 1929 !...).

Européen convaincu bien avant l’heure, nourri de culture française (il apprécie tout particulièrement les poètes Paul VALERY et Charles BAUDELAIRE , ainsi que le philosophe Henri BERGSON…), il écrit des articles pour le quotidien « Corriere della Sera » de Milan et ce sont donc vingt de ces « correspondances » que l’éditeur «La fosse aux ours», a eu la bonne idée de rassembler ici.
Alors que peut-on lire ? Observateur hors pairs et curieux de tout, notamment de la vie culturelle et des hommes, il nous offre son regard sur les autres, non sans humour parfois et fourmillant de petites détails étonnant. Ainsi p. ex. on apprendra que déjà en 1954 pour visiter les remparts de la ville d’Aigues-Mortes en Camargue il fallait payer… Comme quoi la mairie d’aujourd’hui n’a rien inventé !

Le tout est surtout d’une étonnante modernité, doublé d’ailleurs d’un visionnaire hors pair : « L’homme d’aujourd’hui, pris dans un engrenage de forces qui le dépassent, conditionné de l’extérieur, guidé non seulement par les mass-média, mais par mille motifs économiques et sociaux, est de moins en moins libre et sans doute de moins en moins désireux de l’être »… Vous ne rêvez pas cette phrase a été écrite par MONTALE dans une entrevue avec Jean DELAY en… 1962 !..
Esprit libre, anticonformiste discret, paisible, il ne se fait plus aucune illusion sur l’homme quelques années après la Deuxième Guerre Mondiale. Il dresse d’étonnants portraits d’une grande acuité des écrivains artistes et hommes politiques français qu’il rencontre. Je ne peux malheureusement pas ici tous les énumérer, puisque l’on retrouvera entre autres des étonnants portraits de René CHAR, François MAURIAC, SAINT-JOHN PERSE, Georges BRAQUE, Paul CLAUDEL, Jean-Paul SARTRE, Frédéric MISTRAL, André MALRAUX…

Je ne résiste toutefois pas à l’envie de vous en faire partager deux :

Albert CAMUS : «Bel homme qui n’a rien de camus comme l’indiquerait son nom. Ancien ouvrier, ancien acteur, homme d’origine modeste, il a tout juste trente-neuf ans et c’est un des rares que l’on pourrait imaginer vivant et travaillant aussi bien hors de Paris ». (…) « On lui reproche d’avoir peu écrit, de jouir à l’étranger d’une réputation exagérée, de n’être pas suffisamment à droite ou à gauche ; on craint qu’il ne finisse à l’Académie dans une vingtaine d’années ; bref on lui trouve quelque chose d’indéfinissable qui ne plaît pas à ses collègues ».

Constantin BRANCUSI : (…) «Déjà le sinistre vieillard s’était allongé sur un canapé défoncé, se tordant et se débattant, et se déclara moribond tout en m’indiquant la porte de la main. Je suis sorti en m’inclinant froidement. Je ne reverrai certes jamais Constantin BRANCUSI, l’homme richissime et indigent qui peut gagner un million rien qu’en éraflant un morceau de bois, le faune presque octogénaire qui, il y a quelques années encore, se jetait sur les visiteuses de son atelier, le sculpteur qu’on définit comme le dernier des classiques. Un Phidias sans anecdote ».

Pour finir quelques mots du Président Georges POMPIDOU, que MONTALE retranscrit d'une étonnante entrevue quelques temps après la parution de son « Anthologie de la poésie française » : « Vous me demanderez s’il existe encore en France une critique qui serve vraiment à la diffusion et à la compréhension des œuvres littéraires. Peut-être la critique théâtrale conserve-t-elle une certaine efficacité. Le reste se passe dans des revues qu’on lit peu, quand il ne s’agit pas carrément d’ébaucher un ouvrage qui devra servir comme thèse de doctorat ».
Ces lignes ont été écrites en 1962, mais franchement je pense que rien n’a vraiment changé depuis!...

Rappelons que Eugenio MONTALE a été le lauréat du Prix Nobel de Littérature en 1975 il a également été lauréat des "Golden Wreath" (considéré comme le plus important des prix littéraires de poésie) lors des "Struga Poetry Evenings" en 1973.