Saltatempo
de Stefano Benni

critiqué par Sahkti, le 5 mai 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Le rêve permanent
J’avais lu et aimé Spiriti de Stefano Benni. Une fois encore, je regrette de ne pouvoir manier la langue de Dante et m’amuser de la poésie du langage italien de Benni. Ce doit être encore plus beau qu’en français. Ce livre est un petit bijou de douceur, de lucidité, une leçon de vie très utile. Saltatempo est un jeune homme qui vit avec son temps, qui sait que les horloges des gares ou des bureaux dictent le temps officiel, mais qu’en chacun de nous travaille une horloge interne bien moins docile, dictant nos états d’âme, nos coups de cœur, rythmant nos pas et notre vie. Sa philosophie : c’est avant tout cette horloge qu’il faut écouter. Et il a raison ! Même si la vie trépidante qui nous enferme dans un moule sociétal ne nous le permet pas tout le temps, ni souvent.
Saltatempo vit en harmonie avec son horloge intérieure. Cela lui permet de respirer l’odeur des fruits, de humer le vent, de discerner la poésie dans chaque objet du quotidien, mais il faut dire que ce mode de vie ne l’aide pas pour le reste : ses retards sont fréquents, son air "tout le temps dans la lune" a le don d’agacer… bref, difficile de concilier les deux.
Peu importe, cette horloge magique qu’il a reçu un jour de promenade montagnarde de la main même d’un dieu, il lui fera confiance jusqu’au bout ; elle lui permet de lire non seulement l’heure présente, mais aussi la passée et la future. Ces sauts dans l’espace-temps sont accompagnés de scènes de vie croustillantes, on hésite entre Don Camillo et Pagnol dans cette ambiance déjantée de village, de luttes mesquines, de match de foot, de maire corrompu et de curé pas commode du tout.
Portrait poétique que celui de Saltatempo, un héros hors norme auquel nous aimerions tous ressembler, tout en nous disant que c’est impossible. Prétextes imaginaires ou pieux mensonges ? Allez savoir, la vie actuelle empêche peut-être de rêver la vie qu’on imagine être la plus belle.
Benni nous invite à essayer. Ma foi… ça donne très envie de tenter le coup !
dommage 7 étoiles

Première expérience avec Stefano Benni et ce motivé par "Critiqueslibres".
Première constatation la difficulté de trouver un exemplaire de cet auteur dans la bibliothèque de ma ville. Comme s'il s'agissait d'un auteur maudit !
Le reste est enchantement mais avec un petit bémol.
Le livre se subdivise en trois parties.
La première et la seconde parties sont un régal, une débauche de plaisirs subtils. J'ai ri à chaudes larmes et très sincèrement j'aurais voulu que ce roman s'arrête là.
Un moment de bonheur.
Je n'ai peut-être rien compris mais la troisième partie m'est apparue comme "de trop" ! Comme le dit une critique ici éditée ça devient touffu et désordonné et il devient difficile de s'y retrouver.
Je donne sans hésiter 5 à la première partie 4 à la seconde et 2 seulement pour la troisième.

Monocle - tournai - 64 ans - 20 décembre 2013


Quand le temps nous est conté... 8 étoiles

Saltatempo fait des petits bonds dans le temps, de la même manière qu’il sautille, tout chaussuré, pour dévaler sa chère montagne et aller ainsi à l’école, où il arrive d’ailleurs très en retard, problème de timing oblige, sachant que cette difficulté à se calquer sur le « temps des autres » l’accompagnera longtemps.
Et le lecteur est embarqué dans cette gymnastique temporelle, où notre héros nous emmène d’une ligne à l’autre tout aussi bien au lendemain de sa vie que deux ans plus tard, dans un futur lointain ou bien dans le passé.
Parce que le temps qui s’écoule ne le fait jamais de manière linéaire, il n’est que fluctuation rythmique (moments où il ne se passe rien et périodes de grands bouleversements) et sensorielle ( perception toute relative selon l’intensité du moment, et selon le degré d’implication dans ce qui est en train de se jouer), ainsi le récit manque d’unité et d’enchaînements coulants, mais pour obtenir ce confort là, il aurait fallu ôter les chaussures, celles qui font avancer et sautiller sur la pente inégale du temps qui se déroule à nos pieds.
Or, et Saltatempo le réalise à un moment douloureux de sa vie, les chaussures, dans la tombe, on n’en a plus guère besoin…(c’est d’ailleurs suite à cela qu'il commencera véritablement à agir en se rebellant contre celui qu’il a toujours maudit en silence).
Car, rêveur, Saltatempo se contente beaucoup de contempler le monde qui l’entoure, ce monde en pleine mutation de l’Italie de l’après-guerre, à une époque où beaucoup de choses se construisent au détriment d’autres qui fatalement s’écroulent. Tout comme de la même manière une personne en devenir (et c’est son cas) doit passer par des mues successives, faites de renoncements, pour évoluer.

Jolie fable sur la difficulté rencontrée par l’individu pour s’adapter aux changements de l’environnement dans lequel il vit, Saltatempo nous propose également une galerie de personnages attachants, une belle ode à la nature et à la rêverie, dans un style tout à tour burlesque, truculent, facétieux et poétique.
Et puis il y a cette douce nostalgie, celle du bon vieux temps qu’on n’a pas vu s’enfuir pour mourir.

Sissi - Besançon - 54 ans - 1 septembre 2013


L’escarpagneur 7 étoiles

Roman d’apprentissage en trois périodes de la vie du narrateur : l’enfant, l’adolescent et le jeune adulte. Chacune des parties bien délimitées avec un ton différent mais toujours la même verve. Un bouquin qui aurait été commun si ce n’est pas du talent inventif de l’auteur pour manier sa langue et en faire ressortir toutes les couleurs. Dans une entrevue, Benni avoue, « D'autres ont plus de style que moi, mais moi j'essaie d'utiliser tout l'orchestre de la langue italienne, et en effet quelques fois je me plais à inventer des mots car c'est très beau. »

Cette voix colle parfaitement à celle du garçon italien fringant qui nous raconte son parcours. Elle a la truculence et l’insouciance de la jeunesse, parfois sa méchanceté. Surtout elle est divertissante, particulièrement lors de la description de personnages. « Il était devenu stalinien libertaire, une sacrée gageure. Pour lui, tout ce qui existait était, de toute façon, beaucoup mieux en Russie. Son rôle était celui d’idéologue, de kremlinologue et de menteur invétéré. »

Si la prose fantaisiste recèle de merveilleux trésors pour le lecteur, elle nécessite tout de même de l’apprivoiser. De plus, je crois que Benni avait l’ambition de créer un personnage principal archétype, à travers lui de faire une vaste étude de mœurs d’une époque. Le pari est en partie réussi. Inévitablement, cette approche mène au désordre.

Un joli roman aux allures de fable mais qui à la fin refuse d’en assumer pleinement l’étiquette.

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 55 ans - 1 septembre 2013


Un peu court quand même... 6 étoiles

Dans ce livre, sous le nom de Saltatempo, Stefano Benni raconte, d'une manière romancée, ses années de jeunesse durant lesquelles il a fait son apprentissage de la vie.

L'écriture est tout à fait originale, attrayante et pleine d'imagination, avec, peut-être même, un brin de poésie si on cherche bien ; rien que pour ça le livre valait la peine d'être lu. Mais le contenu m'a plutôt déçu. Il ne raconte, la plupart du temps, que de petits faits anodins alignés les uns derrière les autres, sans jamais rien approfondir.

Le résultat donne un récit touffu et désordonné, bourré de personnages qui sont le plus souvent présentés comme des caricatures. Mais c'est sans doute la loi du genre ; c'est la manière des jeunes de raconter : tout doit aller vite et les gens sont beau ou laid, gentil ou méchant, bon ou mauvais...

A mon avis, le véritable intérêt du livre est de découvrir l'état d'esprit de cette génération dite « Mai 68 » ; une génération sympathique mais déboussolée, sans plus de repère, sans plus de valeur, qui fonce dans la liberté sexuelle, qui veut changer le monde sans y croire vraiment, et qui cherche avant tout le plaisir immédiat ; une génération sans idéal et hédoniste, finalement. Il m'a semblé qu'elle apparaissait, au fil des pages, avec beaucoup de justesse et de clairvoyance. Pour ça aussi, ce livre valait la peine d'être lu.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 26 août 2013


Un roman foisonnant 8 étoiles

P'tit Loup, un jeune garçon italien des années 50, rencontre un dieu alors qu'il escarpagnait, c'est-à-dire qu'il marchait en sautillant. Cet être divin lui offre une montre qui lui permettra de lire dans le passé et dans l'avenir. Ainsi, P'tit Loup, rebaptisé Saltatempo, mènera une vie qui lui permettra d'embrasser le temps dans sa totalité. Il vit au rythme du temps qui se lit sur une montre, mais pourra aussi basculer dans d'autres instants parallèles afin de mieux comprendre le monde. Rêveur, plus qu'acteur, Saltatempo traverse les années 50 et 60 avec une certaine légèreté. Le lecteur suit avec attention ce personnage attachant. Mais Stefano Benni ne se contente pas de décrire le quotidien de celui-ci. Avec Saltatempo, c'est tout un village qui prend vie. L'on suit le devenir des amis de Saltatempo, de ses copines, du maire, du curé ... Le village lui-même semble un personnage à part entière. Il devient un être humain écorché, blessé, par les travaux liés au modernisme.

Stefano Benni, c'est tout d'abord un ton, un style, une voix. Amusant, fantaisiste et au franc-parler, l'auteur n'hésite pas à surenchérir pour le plus grand plaisir de ses lecteurs. En même temps, ces excès reflètent aussi le parler italien, surtout dans les petits villages ou les milieux populaires. Certaines grossièretés ne sont pas là pour choquer le lecteur, mais plutôt témoignent d'une certaine spontanéité. Quand on lit les romans de Benni, on ressent une certaine convivialité comme si le lecteur était invité à une fête.

Ce roman est une fable. Les personnages sont typés, comme dans certains contes philosophiques, les noms des protagonistes sont significatifs, le merveilleux côtoie le réel, certaines péripéties paraissent exagérées. Par le truchement de l'imaginaire, l'auteur fait réfléchir le lecteur sur le progrès, sur les valeurs du monde moderne, sur le pouvoir et l'argent. Le roman n'est pas aussi léger qu'on le pensait et plus on avance dans l'oeuvre plus le sérieux s'impose.

Bien sûr, certaines scènes empruntent à la farce italienne, mais d'autres sont touchantes, essentiellement celles liées au père du personnage principal.

Un roman foisonnant dans lequel cohabitent tendresse, poésie et critique.

Pucksimberg - Toulon - 45 ans - 24 août 2013