Ces rêves qu'on piétine de Sébastien Spitzer
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Ces rêves qu'on piétine
La Seconde guerre mondiale continue de hanter les écrivains, qu’il s’agisse d’en faire le thème central de leur livre ou en y intégrant cette période dans une fresque plus large. Historien de formation, Sébastien Spitzer a choisi pour son premier roman un angle bien particulier, celui des derniers jours du régime nazi, vu à la fois du côté des vainqueurs (mais dans quel état !) et des vaincus (mais dans quel état !).
Ava incarne la première catégorie. Cette toute jeune fille est née dans le bloc 24-A à Auschwitz d’une mère qui servait au divertissement de ses geôliers. Pour elle la vie dans le camp, mais aussi après avoir réussi à fuir, ne se limite qu’à une chose : survivre.
En un contraste saisissant, la seconde catégorie est incarnée par Magda, une icône du régime: « Magda rajuste son chignon du plat de la main. Elle plisse ses yeux gris d’orage. Elle est un peu cernée. Redresse et gonfle sa poitrine, teutonique. Elle n’a jamais été la plus belle femme du pays, mais elle a de l’allure. Une beauté hors d’âge, imperméable. Magda se plaît encore. Elle lisse son tailleur sur ses hanches. »
Très vite, le lecteur va comprendre que cette femme qui vient prendre ses quartiers dans le bunker berlinois d’Adolf Hitler au moment où la vie ville subit un bombardement en règle, n’est autre que l’épouse du ministre de la propagande nazie, Joseph Goebbels. Grâce à une construction astucieuse, le lecteur est invité à suivre successivement le destin de l’une et de l’autre. Le lien entre les deux récits, aussi inattendu qu’historiquement avéré s’appelle Richard Friedländer.
Issu d’une famille de commerçants juifs berlinois, il est le père adoptif de Magda et l’une des victimes du plan d’épuration des juifs. Sébastien Spitzer nous offre de lire les lettres qu’il envoie à sa fille depuis le camp de concentration où il a été interné et où la mort l’attend. « Richard Friedländer a été. Il a lié son destin à celui de votre famille. Je suis Markus Yehuda Katz, fils de Salman et d’Olga Sternell. Et cette chaîne de mots, de moi, de nous, de noms infalsifiables, vous rattrapera, où que vous soyez. Il n’y aura pas d’oubli. Nous sommes le peuple qui doit durer, celui qu’on ne peut pas éteindre… Un jour, on se souviendra de lui comme de tous ceux qu’on a voulu faire disparaître, en vain. »
Et même si ces lettres sont apocryphes, les faits qu’elles relatent sont tout autant documentés que les dernières heures du régime qui va prendre la dimension d’une tragédie grecque en faisant de Magda une Médée moderne, soucieuse de ne pas offrir à ses enfants les images de la capitulation. « Elle a porté beaucoup d’enfants. Sept en tout : Harald, Helga, Hildegarde, Helmut, Holdine, Hedwig, Heidrun. Les prénoms des six derniers commencent par un « H », à la gloire de ce régime qui a fait d’elle une grande dame. Celui aussi de Harald, son aîné, né quand rien n’était encore, avant le putsch de la Brasserie, avant les premiers faits divers qui feraient parler d’eux. Ses enfants servent la grande cause. La sienne, bien sûr, mais aussi celle de l’Allemagne tout entière. Ils seront sacrifiés. Ils tomberont avec elle. »
Pendant ce temps, Ava tente de se relever. Elle fuit avec Judah qui a été raflé, embarqué brutalement avec son père, ses deux oncles et ses cousins.
« Je n’ai même pas eu le temps de l’embrasser, dit-il.
— Qui ça ? demande-t-elle.
— Ma mère. Je n’ai pas pu l’embrasser! Les soldats nous ont tassés dans des trains pour la Pologne. Mon cousin est mort de froid, à côté de moi. C’était la première fois que je voyais un mort. Et il avait mon âge ! Sur le quai de l’arrivée, on a reçu d’autres coups. Olejak nous a sélectionnés, mon père et moi, pour son camp. Je suis devenu un homme au fond d’une mine. »
Là encore, l’ironie de l’histoire vient confronter les deux destins. Les matières premières extraites dans les monts du Hartz par Judah et ses compagnons d’infortune feront la fortune de Harald, le fils de Magda, et de ses descendants. Après avoir produit les piles Varta pour l’armée du Führer, ces derniers possèdent aujourd’hui la plupart des actions du groupe BMW. La notion de vainqueur et de vaincu est donc toute relative, comme le montre ce roman qui va creuser dans l’âme des personnages les raisons qui les font agir, dans le paroxysme des situations leurs motivations les plus intimes. Un premier roman qui est d’abord un grand roman! http://urlz.fr/5JpL
Les éditions
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Ces rêves qu'on piétine
de Spitzer, Sébastien
Les éditions de l'observatoire
ISBN : 9791032900710 ; EUR 20,00 ; 23/08/2017 ; 304 p. ; Broché
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Un coup de poing !
Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 25 avril 2019
L'histoire est connue, le suicide collectif... les enfants du couple Goebbels empoisonnés par leur mère.
En corrélation avec la vie de Magda on assiste à la marche forcée d'un groupe de rescapés d'un camp de la mort. Des juifs, quelques communistes et des témoins de Jéhovah. L'armée allemande veut absolument effacer toute trace avant l'arrivée des américains.
L'auteur tente de restituer l'histoire de toutes ces souffrances.
Le sujet a déjà été traité de nombreuses fois et on aurait pu craindre une énième répétition. Sébastien Spitzer réussit toutefois à captiver le lecteur en mêlant des faits historiquement prouvés avec une part imaginée.
Ces rêves qu'on piétine
Critique de Nathavh (, Inscrite le 22 novembre 2016, 60 ans) - 12 février 2018
Sébastien Spitzer s'est arrêté sur les derniers jours de la seconde guerre mondiale et de la fin de la domination des nazis, en particulier sur une femme et pas la moindre car elle était la première dame de la grande Allemagne, j'ai nommé Magda Goebbels.
L'histoire, nous la connaissons, Magda se terre dans le bunker, dernier refuge d'Hitler et de ses proches, elle choisira pour la grandeur de l'Allemagne de supprimer ses enfants à la gloire du pays pour leur éviter le monde qui survivra après le troisième Reich.
En parallèle, les survivants des camps de l'enfer sont sur la route, ils marchent, s'accrochent à leur vie, résistent. Parmi eux, une petite-fille - Ava - née dans les camps, sauvée par la bienveillance de sa mère Fela qui l'accompagne et surtout par le fait d'une infirmière Stanislava Leszczynska à qui elle doit son prénom.
Ava est dépositaire de cette tragique mémoire, elle s'accrochera à ce qu'il reste de ses rencontres : un rouleau de cuir contenant des témoignages des survivants des camps mais surtout des lettres d'un certain Richard Friedländer, un père raflé parmi les premiers juifs. Tout aurait pu être différent pour lui si sa fille avait parlé, plutôt que de garder le silence. Sa fille : Magda Goebbels !
C'est un premier roman magnifique, une fiction fidèle à l'Histoire qui contribue au devoir de mémoire. Ce livre m'a touchée au plus profond de moi. Il dégage une charge émotionnelle énorme et suscite pas mal de réflexion quant à la psychologie de Magda.
Comment peut-on condamner ceux qui vous ont forgé ? Par ambition, pour le paraître ? Qu'est-ce qui pousse Magda à tant d'horreur, de froideur ? La fidélité à une idéologie ?
Je me suis posé beaucoup de questions.
Et puis, simultanément à cette noirceur, il y a l'histoire d'Ava, la lumineuse Ava portée par la vie après tant d'horreurs.
J'ai posé le livre à plusieurs reprises en cours de lecture, l'émotion prenant le dessus. La plume est magnifique, poétique. Les personnages sont très bien travaillés. C'est sans conteste une plume à suivre. Un récit magnifique que je vous conseille vivement. Laissez vous emporter par ces rêves qu'on piétine.
C'est un coup de ♥
Les jolies phrases
C'est la peur qui fait mal. La peur que la mort prenne son temps.
La révolution passe par les murs avant de gagner la rue.
La vie c'est la vitesse, le mouvement. La mort, c'est l'arrêt.
Plonger dans ce bunker. Se résoudre à la fin et se défaire de tout, tout ce qui avait fait d'elle une grande dame, respectée,exaltée, prise pour modèle par des millions de femmes. Magda n'aura plus de printemps, ni de villa, ni de jardin, ni de jasmin.
Dénombrer, c'est attirer le "mauvais oeil". On ne dénombre pas les Juifs. On ne les désigne pas. Ils sont. Ils existent. Ils vivent. Les chiffres qu'on leur a tatoués sur la peau sont une désignation mortelle, un doigt comptable qui les livre à la mort. On ne compte pas les Juifs.
Elle lit des heures pour combler ces néants. Elle en a fait descendre des livres. Des caisses pleines. Pour se soûler de mots, d'autres mots que tous ceux qui l'entourent, que ceux des tables à cartes et du poste radio. Assoiffée de mots d'amour, de mots de mer, d'océan, de voyages. Des mots dans tous les sens et d'ailleurs d'où qu'ils soient. Elle enchaîne les volumes, comme de bons vieux alcools. Elle s'assomme.
C'est bien tout ce qui nous reste, les convictions, quand on n'a plus rien pour convaincre, pour rameuter les autres à soi.
C'est sans doute le propre des grandes civilisations que d'atteindre des sommets dans l'art de faire le mal.
Pas une fille. Pas sa fille. Dans ces camps de prisonniers-là, il n'y avait plus de mère, plus d'enfant, jamais de filiation. L'hérédité comme l'amour étaient proscrits. Ils n'avaient plus le droit d'être, ces rescapés.
L e dos tourné des survivants est bien plus douloureux que le mal des bourreaux. L'injustice altère. L'ignominie réduit. La soumission gangrène.
Elle va bientôt franchir la frontière qui sépare l'homme de l'animal. L'animal pris au piège se ronge le membre captif. Pas l'homme. Il attend qu'on le libère. Il peut se laisser mourir.
Ces deux imbéciles peuvent bien jouer les héros, ils sont solubles comme le sucre sur cette table. Et quand vient la défaite, les héros disparaissent, au profit des héros ennemis. Magda sait qu'il n'y a pas d'Histoire. Il n'y a que des victoires et des défaites, les récits des vainqueurs et l'oubli des vaincus. Memento mori. Tout passe.
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