Je suis dans les mers du sud : sur les traces de Paul Gauguin de Jean-Luc Coatalem

Je suis dans les mers du sud : sur les traces de Paul Gauguin de Jean-Luc Coatalem

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Poet75, le 8 septembre 2017 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans)
La note : 9 étoiles
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Sur les traces de Paul Gauguin

Un ouvrage de Mario Vargas Llosa (« Le Paradis – un peu plus loin ») retraçant les destinées exceptionnelles de Paul Gauguin et de sa grand-mère Flora Tristan avait été ma lecture exaltante de juillet 2015. L’écrivain péruvien y décrivait, à sa façon, c’est-à-dire à la manière d’un romancier, les quêtes éperdues de ses deux illustres personnages, tous deux cherchant leur illusoire « paradis ». Ce livre remarquable, passionnant, n’avait cependant pas totalement épuisé mon désir, ou ma soif, de connaître, autant que faire se peut, Paul Gauguin, de déchiffrer un peu, s’il est possible, l’énigme de ce fascinant personnage, encore aujourd’hui décrié, en tant qu’homme sinon en tant que peintre, par des conformistes de tout acabit. Il est toujours si facile, n’est-ce pas, de décrier les mœurs abominables d’autrui, fût-ce celles d’un peintre mort en 1903 aux îles Marquises, plutôt que de s’examiner soi-même et d’y trouver autant de turpitudes que chez autrui ! Engagé sans limites dans sa quête éperdue, irréaliste mais ne manquant pas de beauté, Paul Gauguin, au fil des années, s’est enfoncé dans une marginalité qui, bien sûr, ne pouvait que susciter de la méfiance et des soupçons du côté d’une certaine bien-pensance hypocrite.
Par rapport à l’ouvrage de Mario Vargas Llosa, celui de Jean-Luc Coatalem me semble apporter un complément précieux et nécessaire. L’écrivain péruvien racontait Paul Gauguin en romancier, il en faisait un personnage de roman, tandis que l’écrivain français propose une approche beaucoup plus historique, sinon documentée. Pour la rédaction de son livre, Jean-Luc Coatalem s’est rendu sur les lieux mêmes, partout où Gauguin a vécu, il a mené son enquête, parfois même retrouvé des descendants du peintre, il a fait un travail d’historien. Du coup, pour qui aime Gauguin et veut sonder un peu du mystère de cet homme, voilà un ouvrage inestimable. Il n’y a rien d’hagiographique dans le portrait que dresse l’écrivain, le peintre se dévoile avec ses petitesses, ses maladresses, ses effrayants égoïsmes. Humainement et artistiquement, il est loin d’être parfait. Non, il est simplement un frère en humanité, mais décidé à aller jusqu’au bout d’un rêve fou, ce rêve qui le conduit à Tahiti, puis aux Marquises où, malade, exténué, il meurt à l’âge de 54 ans. L’homme était sauvage, brutal, refusant de plus en plus la prétendue civilisation qui avait apporté bien des malheurs aux populations autochtones, il détestait les pharisaïsmes et s’en gardait comme de la peste, ce qui, bien sûr, ne convenait pas à tout le monde. Il y avait, chez lui, du paganisme et du christianisme, les deux, mêlés, pour son inlassable recherche de sens. « D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? » : un peintre dont l’une des œuvres porte ce titre ne peut pas être quelqu’un de superficiel !
A la place 301 du livre de Jean-Luc Coatalem se trouve un paragraphe résumant parfaitement le portrait de Gauguin qu’il a voulu tracer . Le voici : « Étrange et si marquant destin, subi autant que forcé, désiré autant que haï, mille fois arrangé et recomposé, transcendé et éprouvé à la fois… Paul Gauguin. Faut-il voir dans cette diagonale systématique, cette fuite fondamentale, une leçon de vie ? Il fut courageux et lâche à la fois, déterminé et calculateur, intransigeant et arriviste, généreux dans son art plus que dans son existence. Et pourtant, jusqu’au bout, il reste cet homme qui désire sans fin, obstinément lui-même, jusqu’à l’épure, cherchant à se rapprocher du « centre mystérieux de la pensée ». Avec lui, expliquera l’historien René Huyghe, « s’achève en pleine conscience cette poursuite du réel et des apparences dont l’art d’Occident ne s’était jamais départi depuis le treizième siècle… ». Certes. Mais derrière cette poursuite, qui réinvestit le primitif, il y a une quête mystique, lancinante supplique posée à Dieu lui-même, fût-il inca, chrétien ou maori : « D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? ».

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