Beau Masque
de Roger Vailland

critiqué par Fanou03, le 20 septembre 2017
(* - 49 ans)


La note:  étoiles
L'Italien et la belle ouvrière
Aux alentours des années mille neuf cent cinquante, dans une vallée jurassienne, tandis que Belmaschio, que les habitants ont surnommé Beau Masque, immigré italien ramasseur de lait, tente de séduire la belle mais farouche Pierrette Amable, déléguée syndicale de la filature locale, le groupe international auquel appartient dorénavant l’usine a décidé de mettre en œuvre une opération de modernisation du matériel, ce qui aura pour conséquence des licenciements massifs. Les syndicats décident de réagir en votant la grève générale.

Beau masque est avant tout est le roman d’un auteur engagé, Roger Vailland, dont le parcours communiste transparaît ici sans ambiguïté, dans cette description d’ouvriers qui décident de déclencher une grève pour lutter contre un plan social. Le récit se passe dans les années mille neuf cent cinquante, et pourtant il fait écho avec acuité aux conflits sociaux d’aujourd’hui. Roger Vailland dresse, tel un journaliste d’investigation, une dénonciation du capitalisme moderne : les jeux troubles entre les actionnaires, l’obsession de la rentabilité, l’attrait (déjà !) de la délocalisation. À ce titre l’auteur n’est pas tendre pour les propriétaires de la filature, les membres des familles Empoli et Letourneau, les plus jeunes, Valérie et Philippe, apparaissant même comme une branche décadente. Mais ll faut rendre cela à Roger Vailland: si sa plume sait se faire acérée, elle ne verse pas dans la caricature : la psychologie de Valérie et Philippe, traitée avec beaucoup de richesses et de nuances, en fait personnages d'un grand interêt à défaut d'être complètement attachants.

A contrario, le livre rend hommage aux militants ouvriers et communistes, qui se battent pour leurs camarades. Deux magnifiques portraits se détachent: Beau Masque bien sûr tout d’abord, qui donne son titre au roman, cet Italien exilé, machiste et amateur de femme, ancien résistant communiste. Et Pierrette Amable, qui semble paradoxalement la figure centrale du livre, jeune femme dont l’abnégation, la droiture, la force de caractère, fait l'admiration de tous. Admirable personnage, magnétique, qui réussit même à rendre fébrile un irréductible charmeur comme Beau Masque.

Ce que je voudrais aussi dire, ce qui fait que j’apprécie énormément ce livre c’est la très grande humanité des protagonistes. Il faut dire que Roger Vailland nous plonge dans une description réaliste du quotidien d’une vallée jurassienne, entre agriculture et industrie locale, et sait apporter toute une palette de ton à ses personnages. Il faut dire aussi que son écriture, quoiqu'un peu sèche, est très fluide, d’une grande vivacité, et fait bien ressortir les sentiments des uns et des autres. Si elle peut prendre des tours d’un lyrisme surprenant (la promenade en montagne de Beau masque et de Pierrette par exemple), elle est surtout me semble-t-il très efficace dans les dialogues, incisifs et d’une grande justesse. Le roman ne se limite pas non plus à son volet social: les rapports de couple, à travers la relation complexe entre Beau Masque et Pierrette, y tiennent une place importante.

Alors oui, comme dans La Loi, on pourra reprocher à Roger Vailland un certain didactisme, un côté un peu brouillon parfois, où quelques éléments auraient mérité peut-être une plus grande attention de sa part, comme le traitement réservé au fils de Pierrette, ou surtout la conclusion du roman, que je trouve un cran en dessous du reste. Il reste néanmoins que Beau Masque est un roman énergique et militant sur les luttes des travailleurs dont le fond reste encore complètement d'actualité.