Vie du Père Lebbe de Jacques Leclercq
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Le Tonnerre qui chante au loin *
Il avait reçu la vocation dès l’adolescence. A sa confirmation il avait annoncé à sa famille qu’il serait le Père Vincent Lebbe, missionnaire en Chine, et qu’il deviendrait chinois parmi les Chinois. Et c’est ce qu’il fit. Et c’est ce que nous raconte cette biographie.
L’auteur commence par nous raconter l’enfance et la jeunesse de son héros. Il nous dit qu’il avait toutes les caractéristiques du « vrai Flamand » : entêté, déterminé, tenace, « un dur à cuir » mais aussi spontané, enjoué, espiègle... Un Flamand comme on les aime.
Et ces qualités, poussées à l’extrême, ont été appréciées par les Chinois au delà de toutes mesures. Après quelques années d’apostolat, il était connu dans toute la Chine, il annonçait la Bonne Nouvelle aux Chinois et les Chinois se précipitaient pour l’écouter.
Par contre, dans les milieux missionnaires établis en Chine, sous protectorat français, on ne l’aimait pas, on le craignait et on suppliait Rome de le rappeler en Belgique.
C’est que, dans la mentalité des missionnaires de l’époque, les Chinois étaient des êtres corrompus, fourbes et dégénérés, indignes d’accéder à la prêtrise, tout juste bons à servir les missionnaires français, sans les comprendre, puisque ces missionnaires ne parlaient pas chinois.
Le Père Lebbe était musicien ; il avait composé une liturgie chinoise. Il voulait mettre sur pied une Église chinoise avec un clergé chinois, des prêtres et des évêques chinois : « nous ne pouvons considérer notre religion comme le fief des nations européennes, disait-il, tant de générations de missionnaires n’ont réussi, au prix de leur sueur et de leur sang, qu’à établir des colonies spirituelles et non point, à l’exemple des apôtres, des Églises vivantes... ». (Le Père Lebbe faisait allusion ici aux missionnaires jésuites du XVIIème siècle qui, contrés par les Papes, n’avaient pas réussi à fonder une Église chinoise).
Les missionnaires français brandissaient la menace d’un schisme. « Schisme » ! un mot qui fait trembler le Vatican sur ses bases ! On voulait l’écarter mais, le renvoyer dans son pays d’origine aurait suscité des émeutes un peu partout, même dans les milieux païens. Rome s’appliquait alors à envoyer le malheureux Père Lebbe dans les coins les plus reculés de la Chine, mais on n’arrivait jamais à le réduire au silence. Les Chinois étaient avec lui.
Au cours de cette biographie, l’auteur nous détaille une page d’Histoire particulièrement dramatique de la Chine, depuis la chute de l’empire mandchou jusqu’à l’avènement de Mao et à laquelle, immanquablement, notre missionnaire était mêlé.
Lorsque le Japon envahit la Chine, en 1933, il avait compris que les chrétiens chinois devaient être de bons patriotes. Il écrivait à Rome : « il faut former les chrétiens au sentiment patriotique … le patriotisme est avant tout un amour, un élan créateur de dévouement et de sacrifice, un grand idéal et donc une grande force ... c’est ce qui frémit dans l’âme à l’audition du chant national, le souffle qui découvre les têtes les plus fières à la vue du drapeau… ».
La prose épistolaire du missionnaire était remarquable mais Rome ne voulait rien entendre : « former les chrétiens au sentiment patriotique serait les jeter dans la mêlée politique ! » ...Et maintenant, taisez-vous !
On retrouve ici l’éternel conflit entre Rome et les missionnaires de terrain. Un conflit qui dure depuis des siècles. La thèse du Vatican est « rendez à César... », le chrétien ne doit pas faire de politique, point !
La thèse des missionnaires de terrain s’exprime par la voix du Père Lebbe quand il écrit :
« je me suis fait chinois avec les Chinois, comme saint Paul s’est fait grec avec les Grecs. Oui, je suis chinois, j’aime la Chine et, aimer la Chine, c’est vouloir la défendre. Je dois défendre ma patrie, je reste solidaire de mon troupeau, … devant tant de monstruosités (il parlait des bombardements japonais) je ne puis rester neutre et je trouverais monstrueux que l’on me demandât de me taire »
Contre l’invasion japonaise, il était entré dans l’armée chinoise mais sans porter les armes, il s’était mis à la tête du détachement de secouristes brancardiers qu’il avait fondé. Sa bravoure fut récompensée par une décoration, remise devant le front des troupes, par le Maréchal Chiang-Kai-Shek en personne. Le Maréchal ensuite, devint son ami ; il était séduit par le christianisme. Il le nomma responsable de la purification nationale dont le but était d’éradiquer la corruption publique et de développer le sentiment patriotique.
Ses adversaires, les missionnaires français, disaient : « au moins avec les Japonais règnent l’ordre et la paix ». Le Père Lebbe, ulcéré, répondait : « c’est le langage de tous les traîtres dans toutes les guerres ... une paix achetée au prix de l’esclavage est une honte ! … la conscience chrétienne n’acceptera jamais cette paix là ! … je suis prêt à verser tout mon sang contre le démon de l’impérialisme ! ».
Ces fières paroles font inévitablement penser à la tenue héroïque des théologiens de la Libération en Amérique du Sud. Eux aussi ont été rudoyés par Rome et même, jusqu’à l’humiliation par le Pape Jean-Paul II.
Le conflit entre les chrétiens de terrain et le Haut clergé catholique n’est pas prêt de s’éteindre. C’est le diable, auquel les chrétiens croient, qui s’ingénie à créer ces situations inextricables où le croyant ne voit plus les limites de son devoir.
Le Père Lebbe, comme tous les grands missionnaires, sans exception, est resté fidèle à ses vœux d’obéissance. Il s’est finalement soumis aux ordres du Vatican.
(Personnellement, après avoir lu l’Histoire des Jésuites en Chine, l’Histoire du R.P. De Smet en Amérique du Nord et maintenant la biographie du Père Lebbe, mon parti est pris, je tiens avec eux).
Le Père Lebbe restera toujours la grande figure des missions catholiques en Chine au XXème siècle. Quand il meurt en 1940, la Chine prend le deuil et le vénère comme un héros national. Dans son avant-propos, l’auteur de cette biographie, le Chanoine Jacques Leclercq, nous dit qu’il a été « l’artisan de la réforme la plus considérable qui se soit produite dans l’Église pendant les derniers siècles ». Mais il est quelque peu tombé dans l’oubli. Depuis l’effondrement de l’Empire mandchou en 1913 jusqu’à la Chine de Mao, trop d’événements ont repoussé dans l’ombre ce missionnaire qui a œuvré pour une autre Chine que la Chine communiste.
Ce livre est le récit d’une vie absolument exceptionnelle. En dehors de toute contingence religieuse, le lecteur découvre une vie toute entière vouée aux autres, une vie de lutte sans merci pour le bien, la justice et la paix. Une vie faite de courage et d’abnégation, toujours dans l’enthousiasme, avec cette force que donne la certitude d’accomplir le dessein de Dieu. Le Père Lebbe est un modèle pour les chrétiens comme pour les autres. Son nom doit être gravé au panthéon des bienfaiteurs de l’humanité. Il était du bois dont on fait les saints. Il était un de ces hommes qui nous laisse espérer qu’un jour le monde sera meilleur.
* « Le tonnerre qui chante au loin » : traduction française du nom donné par les Chinois au Père Lebbe.
Les éditions
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Vie du Père Lebbe
de Leclercq, Jacques
Casterman / Eglise vivante
ISBN : SANS000051832 ; 31/12/1961 ; 350 p. ; 14 x 20.5 x 2.5
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