Black Vénus de Jef Geeraerts
( Gangreen)
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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Fonctionnaire païen aux colonies
Jef Geeraerts, Anversois, est un auteur tout à fait à part des lettres belges. Dans une région aussi catholique que les Flandres, et à son époque, ses écrits ont dû en choquer plusieurs !
Dans « Black Venus » il n’épargne pas grand monde ! Fonctionnaire dans l’ex-Congo belge, il faut avouer qu’il ne manquait pas de matières à observer…
L’église catholique y était toute puissante et pouvait même se permettre de voler des territoires qui appartenaient, sans contestations possibles, aux noirs. Quand Geeraerts tentait de les protéger, l’évêque avait vite fait de lui répondre que les privilèges de missions catholiques étaient reprises en toutes lettres dans la Charte coloniale. A ses yeux, rien n’était fait dans la région dans le véritable intérêt des noirs et l’administration, comme les sociétés privées, ne pensait qu’à les christianiser, à les exploiter et à enrichir le système colonial.
Les Belges eux-mêmes n’étaient sont pas plus brillants à ses yeux : « …observant ces petits-bourgeois repus, suffisants, complaisants, bornés, vautrés dans leur sécurité… »
Il faut dire aussi que Jef Geeraerts était un fonctionnaire d’un type assez particulier ! Ils ne sont pas fréquents dans la profession à déclarer à une jeune noire « Je suis un païen et je suis Dieu à la fois. Dieu n’existe pas. Dieu c’est moi. »
Si lui était Dieu, celui-ci serait un solide gaillard éternellement assoiffé de jolies femmes et de sexe. Il ne pensait presque qu’à çà et ne le cachait surtout pas ! Il écrit : « …car l’érotisme est à mon avis la meilleure réaction contre l’insupportable morale chrétienne et ce n’est pas à moi que le Christ pourrait dire : « Nous avons joué de la flûte pour toi et tu n’as pas dansé… »
Ah, non !… Il a vraiment dansé et les noires, pour lui, avaient conservé toute la spontanéité originelle dans l’amour physique, alors que le catholicisme aurait tué cet instinct chez la femme blanche. A trop le croire cela pourrait être dangereux pour notre moral mais, depuis, le catholicisme est aussi bien passé par là…
Drôle de fonctionnaire aussi quand il avoue qu’il piquait dans la caisse de l’administration, sans honte aucune, pour pouvoir payer la somme que demandait un père pour lui donner sa fille. D’ailleurs, les voleurs sont « …des types qui s’affirment par chaque vol et pour qui cet acte devient une révolte existentielle contre une société qu’ils refusent d’accepter, ce sont les derniers grands seigneurs de ce siècle craintif où seul le vol peut donner une forte sensation de témérité… »
Je prends encore une de ses phrases car elle me semble bien définir son auteur : « …entonnons ensemble un cantique à la gloire du Seigneur, demandons-Lui de changer toutes les femmes inhibées, casanières, frigides, blondes, blanches et plates en femelle ardentes qui tripotent la braguette de leur voisin dans les banquets officiels afin que la nuit, les chambres à coucher de nos villes et villages soient baignées d’une lumière crue et que des cris bestiaux et libidineux trouvent le ciel… »
Et cela vous étonne que je vous dise que ce livre a été interdit à l’époque pour pornographie et racisme ?… Heureusement, il est ressortit des cartons ! Je dis heureusement car j’ai pris un grand plaisir à le lire. Geeraerts bousculait solidement l’ordre établi, mais pas toujours à tort et pour notre plus grand plaisir…
Pas étonnant non plus d’apprendre qu’ Henry Miller a dit de ce roman qu’il était « comme une formidable explosion de couleurs, de sons et de sentiments primitifs »
Les éditions
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Black Vénus [Texte imprimé] Jef Geeraerts nouv. trad. du néerlandais par Marie Hooghe
de Geeraerts, Jef Hooghe, Marie (Traducteur)
Actes Sud / Babel (Arles).
ISBN : 9782742705863 ; 7,70 € ; 01/01/1999 ; 252 p. ; Poche
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Ce n'est pas Tintin au Congo !
Critique de Bolcho (Bruxelles, Inscrit le 20 octobre 2001, 76 ans) - 19 septembre 2004
Peu religieux mais plein de souffle comme on dit. Même de tempête. Une phrase c’est un paragraphe, c’est une page, plusieurs pages (j’ai compté une phrase de 8 pages).
Et on trouve dans tout ça, le rôle abject du clergé au Congo belge et un personnage hors normes qui, violant la morale bourgeoise, nous montre à quel point elle est pétrie de faussetés.
Mais la tentation de marginalité est telle que la sottise y trouve aussi son compte parfois. A propos des voleurs : « (…) des types qui ont du cran, qui ont un appétit effréné de liberté, des types qui vivent, qui ne végètent pas, qui agissent et ne fonctionnent pas, des types qui s’affirment par chaque vol et pour qui cet acte devient une révolte existentielle (…) », etc, etc, l’habituelle salade romantique sur les voleurs perçus comme des esprits libres et contestataires alors qu’ils sont les plus serviles esclaves et les plus fervents zélateurs du capitalisme. Mais foin de moralisme, c’est de la littérature que diable, c’est le sang des vies excessives mais possibles qui est transformé en verbe. Des mots. Rien que des mots avec beaucoup de force, qui décrivent un macho colonialiste, grandiloquent et futile. Racisme et pornographie comme on l’a dit en 1968 quand le livre est sorti et a été interdit ? Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que la littérature n’est pas une entreprise morale par nature, qu’on doit la louer de nous emporter ailleurs que dans le sillage des pensées officielles, même si les mornes coucheries d’un colonial suffisant qui se paie des petites noires n’élèvent pas forcément l’âme.
Le douteux personnage, après avoir réglé à coup d’autorité brutale et d’argent une affaire qui aurait dû être du ressort de la justice, fait cette remarque peu anodine qui dure trois pages et commence ainsi : « (…) une fois de plus nous fournirions la preuve que nous étions de la race des Césars, celle qui a fait de l’histoire le plus grand chef-d’œuvre conçu par l’homme, un miroitement de bannières claquant au vent, brodées de lis d’or, d’aigles bicéphales, de couronnes et de lions montrant les griffes, suivies d’armures cliquetantes, de chevaux écumants, de trompettes retentissantes, d’interminables rangées de lances, de têtes empanachées de couleurs éblouissantes, du bruit des pas des lansquenets qui font trembler la terre, piétinent les blés, incendient les cabanes de torchis, embrochent les vaches, passent au glaive les rebelles, tringlent les captives, pillent, massacrent et rasent les bonnes villes (…) ».
Je vous fais grâce de la longue suite qui dénonce toutes les guerres menées par notre belle civilisation. Un peu amère n’est-ce pas.
C’est aussi, bien entendu, un récit des dernières années du colonialisme au Congo ex belge. Et à le lire, on doit bien admettre qu’il était temps que cela cesse.
Je terminerai par cette citation d’Hemingway que Geeraerts glisse dans son livre et qui, sous son apparente platitude, exprime si bien ce que tous les lecteurs vivent en lisant et lisent en vivant : « All stories if continued far enough, end in death ».
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Jules 2 et Jules | 23 | Jules 2 | 12 mai 2004 @ 19:57 |