La cloche d'Islande
de Halldór Laxness

critiqué par Fanou03, le 13 octobre 2017
(* - 49 ans)


La note:  étoiles
Le paysan, l'érudit et la vierge aux yeux clairs
Jon Hreggvisdon, est un paysan pauvre du fin fond de l’Islande du début du dix-huitième siècle. Suite à de menus larcins (un vol, une moquerie envers le roi du Danemark, qui contrôle l’Islande à ce moment-là) il est flagellé en public par le Bourreau du roi. Celui-ci est retrouvé mort peu de temps après la punition : Jon Hreggvisdon est immédiatement accusé et condamné pour ce meurtre.

Je trouve que décidément, ce qui fait une des particularités des romans de Halldor Laxness (du moins ceux que j'ai déjà lu, Station atomique et La Saga-des-fiers-à-bras) est la complexité de leurs personnages, difficiles à cerner, très ambivalents. Ainsi Jon Hreggvisdon, « pauvre paysan » comme je le dis moi-même dans le résumé du livre, est aussi un fieffé coquin, à la fois naïf et malin. D’ailleurs jamais dans le récit on ne saura clairement si c’est bien lui qui a assassiné le Bourreau du roi, même si tout porte à le croire, alors que Halldor Laxness aurait tout à fait bien pu expliciter ce meurtre, qui vu ce qu’a subi Jon Hreggvisdon, aurait été sinon excusable, du moins compréhensible. Arnas Arnaeus l'érudit quant à lui se pose à la fois en défenseur du peuple islandais mais apparaît aussi parfois profiter de sa position privilégiée à la cour du Danemark, notamment quand il obtient les fonctions de « commissaire spécial »: il donne alors l'impression d'agir en partie à ses fins personnelles ou dans un esprit despotique. Même la belle figure de Snaefrid Eydalin, la « Vierge aux yeux clairs », alterne les comportements altiers et bien moins compréhensibles, ce qui finit par être extrêmement troublant.

La personnalité et l’évolution de ces trois protagonistes forment le socle intangible du livre. Sur cette base Halldor Laxness développe en particulier deux thèmes : l’importance du patrimoine littéraire islandais, constitutif de l’identité des habitants de l'île, même si ceux-ci n'en n'ont pas forcément conscience, et dont la sauvegarde est la quête d’Arnas Arnaeus. D’ailleurs le tout début du roman lui-même commence en évoquant les livres et les contes (« Il fut un temps, est-il dit dans les livres,... »). La cloche d’Islande est également un récit politique sur une période sombre de l’île : les conséquences de la disette, de la famine, des épidémies sont encore rendues plus dures par l'extrême sévérité de traitement du pouvoir danois, et son mépris. Sous cette servitude, nous dit Halldor Laxness, le peuple islandais semble courber l’échine mais ne renonce jamais à son indépendance. Cette admiration pourra être vue aussi comme un hommage universel à tous les peuples qui ploient sous un joug totalitaire.

La Cloche d’Islande est un roman ardu, à la lecture exigeante, qui ne se laisse pas aisément dompter. Les caractéristiques de ses personnages, pour lesquelles on ne peut pas s’attacher pleinement, en est une cause. La densité et la richesse de la prose de l’auteur en est une autre. L’écriture, tout en étant très sobre, économe presque, mime une syntaxe presque médiévale, pas toujours d’une grande fluidité. Par contre cela donne beaucoup de corps à l’ensemble, une certaine lenteur, une gravité d’une grande beauté, souvent métaphorique. Certaines parties sont plus rythmées cependant, comme le voyage de Jon Hreggvisdon jusqu’au Danemark, qui relève presque de la vivacité d'un Candide. Il faut dire que, mêlé à un fond très sérieux, l’absurde (voire l'humour noir) n’est jamais loin: l'imbroglio judiciaire incompréhensible de ce même Jon Hreggvisdon, qui court sur les vingt ans du livre, fait de jugements, de contre-jugements, de renvois, a sans doute beaucoup dû amuser l'auteur !

Au vu de tout cela, je ne recommanderai pas La Cloche d’Islande à tout le monde, mais surtout aux passionnés de l’Islande qui veulent découvrir une œuvre majeure de la littérature moderne islandaise, ou bien à ceux qui n’ont pas peur de se frotter à un Prix Nobel de Littérature à l’accès parfois un peu difficile.