Epiphania, Tome 1 :
de Ludovic Debeurme

critiqué par Blue Boy, le 21 octobre 2017
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Mix your bodies !
Après le passage d’un tsunami dévastateur, des fœtus mi-humain mi-animaux, les « mixbodies », se mettent à sortir de terre un peu partout. Dans une atmosphère délétère, la cohabitation entre les humains et ces créatures très puissantes s’annonce difficile et les émeutes commencent à se multiplier. Quand le chaos menace une humanité en perdition…

Ce récit fantastique, dont c'est ici le premier volet, s’ouvre sur la vie ordinaire d’un couple qui cherche à retrouver l’amour au moyen d’un stage de coaching sur une île déserte, alors que leur premier enfant doit bientôt venir au monde. Mais un tsunami vient balayer subitement le havre de paix où ils séjournent, et l’homme perd sa femme dans la catastrophe. De retour chez lui, il découvre dans son jardin qu’un fœtus s’apprête à sortir de terre, alors que les chaînes d’information annoncent des cas similaires dans tout le pays. D’abord révulsé par la créature, il va décider de l’adopter et l’élever. Mais comme tous les mixbodies, l’enfant grandit très vite et possède des caractéristiques physiques qui vont l’exposer au rejet de ses camarades humains dès son entrée à l’école.

Si la thématique évoque incontestablement les X-Men (ces mutants aux pouvoirs extraordinaires qui doivent se cacher pour se protéger des hommes), celle-ci est traitée sur un mode beaucoup moins spectaculaire, davantage philosophique. La peur de la différence et le rejet de l’autre constituent un sujet on ne peut plus actuel. Avec « Epiphania », Ludovic Debeurme nous ramène à la crise actuelle des migrants qui fuient des pays ravagés par la guerre et la misère, menaçant l’équilibre de nos contrées « tranquilles et prospères » en faisant ressurgir des vieux démons qu’on croyait disparus. Mais ici, contrairement à la plupart des images diffusées par les grands médias, les parias ont un visage, ils ont des peurs, des doutes, savent aussi aimer et ne demandent qu’à vivre en paix comme tout le monde… sauf si bien sûr ils se sentent menacés…

Pour ce qui est du dessin, Debeurme recourt à une ligne claire dépouillée, donnant corps à un univers qui rappelle immanquablement le « Black Hole » de Charles Burns, en plus lisse et dans des tons pastels un rien insipides. Mais la comparaison s’arrête là, car le scénario reste extrêmement fluide et accessible. L’auteur n’est pas vraiment un nouveau venu dans la bande dessinée, avec plusieurs publications à son actif depuis quinze ans, principalement chez Cornélius et Futuropolis. Déjà récompensé pour « Lucille » à Angoulême, il nous propose ici une fable très intrigante, à la fois fantastique et humaniste, qui réussit à donner au lecteur l’envie de connaître la suite.
Epiphania, tome 1 de Ludovic Debeurme 8 étoiles

C’est un nouveau nom qui fait son entrée dans le catalogue de la maison Casterman que celui de Ludovic Debeurme. Déjà connu pour ses précédents ouvrages comme Lucille paru en 2006 chez Futuropolis ou encore Ocean Park paru en 2014 chez Alma Editeur, l’auteur et illustrateur français revient dans les rayonnages avec Epiphania, le premier tome d’un triptyque où vont se croiser, entre autres, des enfants chimériques, des personnages hauts en couleur (rien de le dire !), des thématiques fortes et tout cela dans un monde pré-apocalyptique surprenant. Lettres it be vous en dit un peu plus !

# La bande-annonce

Une fiction haletante, basée sur les grandes problématiques sociétales actuelles.
La Terre, menacée par l'espèce humaine, a créé son armée : les « Epiphanians .

# L’avis de Lettres it be

La couverture donne le ton d’un ouvrage qui en a sous la pédale ! Colorée façon crépuscule hippie, intrigante au possible, présentant pêle-mêle des humains perplexes au côté de créatures moitié humaines moitié animales, avec au premier plan tout ce qui pourrait s’apparenter à un hipster christique tenant dans ses bras le corps frêle d’un enfant aux longues pattes, cette couverture met en haleine. Et vous n’êtes pas au bout de vos surprises …

C’est malin, c’est bien ficelé, on se fait très vite prendre au piège de cette bande dessinée. Sur la forme, le découpage carré au possible donne à l’ensemble une structure plutôt sage. Mais les couleurs viennent ajouter le piment nécessaire pour captiver nos yeux et leur offrir ce pour quoi on vient et on revient vers les ouvrages de Ludovic Debeurme : on en prend plein la vue, et on en redemande ! Les tons pastel sont terriblement bien maîtrisés et font baigner cette pseudo-apocalypse dans une ambiance yéyé et rock’n’roll halluciné des plus agréables.

La différence, les tourments de l’enfance, le crépuscule de nos sociétés contemporaines, l’entrée dans le monde des grands … Ludovic Debeurme ne manque pas d’interroger et de mélanger les thématiques fortes au cœur de ses ouvrages. Cela avait déjà été le cas dans bien d’autres des parutions du dessinateur, et le voilà qui remet le couvert dans Epiphania, en faisant appel cette fois à des créateurs angoissantes apparues à la suite d’une mini fin du monde. Bien que tous ces thèmes différents et si difficiles à traiter déjà individuellement s’entrechoquent entre les pages dans un brouhaha difficile à suivre parfois, Debeurme confirme tout le bien que l’on pensait déjà et apporte des réflexions bien senties, toujours sur la corde raide d’un moralisme qui a bon dos de nos jours. Mais l’équilibre est là, et c’est tant mieux. Garde tout de même pour les deux prochains tomes. Mention spéciale tout de même pour ce petit décalage burlesque dès le début de l’ouvrage et cette séance de coaching pour couples juste à mourir de rire. Décidément, Ludovic Debeurme est passé maître dans ces situations de l’impossible, dans ces décalages improbables.

Lettres it be - - 30 ans - 9 janvier 2018


Un gros coup de coeur 10 étoiles

Je ne reviens pas sur le résumé très clair fait par Blue Boy.

Cette bande dessinée est très originale et interroge longtemps son lecteur. L'atmosphère qui règne est étrange, si éloignée de nous et à la fois si proche. Dans cette oeuvre deux mondes cohabitent, celui des hommes et celui de monstres ( êtres qui empruntent des traits physiques aux humains et aux animaux ). Ces derniers, les mixbodies sont apparus après un terrible tsunami. Des enfants naissent de la Terre, comme des plantes ... Ils semblent envoyés pour rétablir les erreurs des hommes. L'on sent le caractère un peu engagé de ce roman graphique. Les nouvelles à la télévision sont sombres et portent sur des catastrophes humaines qui ont une grave incidence sur la nature.

Ces êtres singuliers dérangent par leurs différences. Ils sont l'étranger qui fait peur et que l'on veut chasser, ils sont des individus physiquement en dehors des normes, que l'on rejette. Il y a donc une résonance avec le monde d'aujourd'hui, avec la question des migrants, puis tout simplement avec la question de la différence. L'un des mixbodies adopté par le personnage principal ressemble à un petit garçon handicapé mal vu par le reste de la classe. Les passages concernant la jeunesse de ce mixbody sont vraiment touchants et l'on en vient à vouloir le protéger et le faire sourire face à la bêtise humaine.

La foule impressionne car elle ne se contrôle pas et s'enflamme rapidement car elle se sent puissante. Certaines scènes rappellent des moments sombres de notre histoire quand on voit cette chasse à l'homme, ces pauvres êtres pendus ... La bande dessinée interpelle le lecteur car l'on souhaiterait bien que ces attitudes soient liées au passé mais des réactions violentes comme celles-là sont toujours possibles.

Ce personnage principal qui ne veut pas être père et qui se retrouve papa d'un être hors-norme est touchant. Cet enfant rejeté émeut le lecteur qui va au-delà de la monstruosité et ne voit qu'un fils.
Le trait pourrait sembler naïf, mais les visages sont extrêmement expressifs. beaucoup d'émotions passent par le regard des personnages. L'univers de Ludovic Debeurme est particulier, obsédant et mystérieux. Le lire c'est pénétrer dans un monde métaphorique. L'artiste parvient à nous indisposer, à nous toucher et à nous questionner. C'est sans doute l'une des meilleures bandes dessinées de l'année à mes yeux.

Pucksimberg - Toulon - 45 ans - 19 novembre 2017