Paris vécu de Léon Daudet
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Avec Léon Daudet pour guide
C’est à une promenade bien alléchante que nous convie Léon Daudet dans ce « Paris vécu » : rien moins que les rues de Paris, découvertes par le prisme de ses souvenirs. À l’éloignement du temps s’ajoute celui de l’espace, puisque c’est de son exil bruxellois que Daudet reparcourt mentalement ce Paris qu’il a arpenté en tous sens. L’itinéraire est si précis que l’on peut lire l’ouvrage le doigt sur un plan, ou mieux encore, sur les lieux même, parfumés de l’air parisien.
Dans son style fleuri et dynamique, Léon Daudet fait revivre l’ambiance d’une maison d’édition, d’un grand journal comme le Figaro, singulièrement le jour de l’assassinat de son directeur Gaston Calmette, de la Sorbonne, de la faculté de Médecine ou de l’Assemblée nationale, qu’il a animée de ses discours tonitruants pendant les 4 ans de son mandat de député.
Sa verve se fait la plus enthousiaste ou la plus acerbe, selon le camp de la personne portraiturée. Ainsi d’Aristide Briant, ces réflexions pleines de lucidité, écrites en 1928 :
« C’est une des curiosités du musée secret de l’histoire contemporaine que l’ascension politique de cet olibrius, rempli de tous les poncifs et préjugés romantiques du XIXe siècle, les débagoulant , comme des nouveautés, devant des princes, des princesses, des chefs d’État, des gens instruits, des journalistes, des assemblées, qui applaudissent à ces antiques âneries, comme des révélations merveilleuses.
La chose serait prodigieusement comique, si elle ne devait aboutir, et à bref délai, à la fonte purulente de la victoire et à une nouvelle catastrophe. Car la conception des États-Unis d’Europe, qui était celle de Napoléon III et de Victor Hugo, nous a menés, en 1870, à Sedan ; et la doctrine du rapprochement franco-allemand selon Waldeck, puis selon Caillaux, nous a valu la guerre de 14, par le mécanisme, bien connu, de l’appât à la voracité allemande. Ce qui est curieux, c’est qu’à si peu d’années de distance, la terrible leçon se soit effacée et perdue, et que nous soyons de nouveau sur le sentier de la guerre, en chantant des hymnes à la paix universelle ! »
Le même ton est appliqué à l’Académie française et ses membres…
Les théâtres ont aussi sa prédilection, et il rappelle le bon mot d’Aurélien Scholl à la reprise, assez calamiteuse, du « Roi s’amuse », en présence de l’auteur : « Seul le Roi s’est amusé ».
Sur le chemin du Père Lachaise, Daudet se souvient d’y avoir suivi le cercueil de son père puis de son fils, décédé à l’âge de 15 ans.
Autres souvenirs plus personnels : les blagues de potache à destination de la police ou des grands bourgeois, qui provoquèrent un scandale international contre ces "fils de riches" qui s’amusaient pendant que les fils d’ouvriers peinaient.
Mais les quartiers populaires aussi lui sont source d’inspiration, comme le quartier des Vosges de son enfance, « merveilleusement pittoresque et haillonneux », rempli de « décrochez-moi-ça », ou la rue Mouffetard, où il brosse un type parisien disparu depuis, le bohème : « …ce personnage mystérieux, villonien, nervalien, qu’on retrouve dans chaque faubourg de l’Urbs et qui a bénéficié d’une sorte de sympathie apitoyée : M. Georges, M. Marcel, M. Louis ( jamais de nom de famille), qui récite du Hugo dans les fonds de caboulots, discute religion et philosophie et marche dans des croquenots faits de papier d’emballage retenu par des ficelles. »
Des épisodes étonnants, dramatiques lui reviennent au détour des rues : ici, la grosse Bertha a détruit tout un pâté de maison, là a sévi pour la première fois le « gang des automobiles », là encore, on a coincé Bonnot dans une souricière. Ailleurs, il a assisté au départ de religieux vers leur terre de mission. Chaque événement fait l’objet d’une page bien enlevée, comme celle sur l’exécution de deux condamnés à mort, particulièrement émouvante.
Belle inspiration personnelle également lorsque Daudet veut traduire la plénitude qu’il ressentit à sa libération de prison :
« La lourde porte grinça de nouveau, ouvrant une profondeur d’azur, où j’aurais voulu tremper mes mains et ma figure. Ah ! mâtin, quel bleu, mon bon Keats, supérieur à celui de votre sonnet ! quel bleu, cher Angelico, supérieur à celui de vos anges ! quel bleu, ô Léonard, plus profond que celui de vos lacs et monticules, derrière vos saints ! quel bleu, ô ciel divin de Touraine ! »
J’ajoute que l’on pourrait tirer de cet ouvrage un «A table avec Léon Daudet », tant les détails gastronomiques y abondent, ce qui n’a rien d’étonnant chez celui dont on a pu dire : « Il a mieux que du talent : du tempérament. »
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