Suor
de Jorge Amado

critiqué par Tistou, le 2 décembre 2017
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Chez les damnés de Bahia
« Suor » date de 1938, période où l’engagement politique de Jorge Amado est réel. Engagement à décrire la situation des plus miséreux et des opprimés. « Suor » est de cette veine.

« Les rats passèrent, sans donner de signes de peur, entre les hommes qui étaient arrêtés au pied de l’escalier obscur. Obscur ainsi jour et nuit ; il montait à travers l’édifice comme une liane qui aurait poussé à l’intérieur du tronc d’un arbre. Il y avait une odeur de défunt, une odeur de linge sale que les hommes ne sentaient pas. Ils ne s’inquiétaient pas non plus des rats qui montaient et descendaient, faisant la course, disparaissant dans l’escalier. »

L’édifice dont il est question, c’est un vieil immeuble de type colonial, branlant et délabré, au 68 de « la Montée du Pelourinho », à Bahia, qui abrite le lumpenprolétariat de l’époque ; des travailleurs (très) pauvres, des vieillards misérables, des prostituées, des militants communistes épuisés, des mendiants, des exclus de la société …
Quatre étages, 116 chambres et des centaines de personnes entassées dans une misère crasse. Pour autant, par petites touches successives, Jorge Amado nous montre que toute dignité n’est pas ravalée et qu’il peut encore y avoir réaction lorsque le propriétaire – exploiteur veut leur faire payer à sa place l’amende de l’Etat pour latrines insalubres.
Pas d’histoire à proprement parler mais des portraits, uniques ou revisités, croisés parfois, qui dénotent de la compassion et de l’attachement du jeune Jorge Amado pour ces damnés de la terre que sont les pauvres bahianais. La démarche évoque celle d’un Naguib Mahfouz, par exemple, dans « Récits de notre quartier », pour ce qui concerne Le Caire.
A ce titre on ne peut réellement parler de roman mais plutôt d’un recueil de micro-nouvelles, juxtaposées jusqu’à constituer un patchwork, à l’image de ces quatre étages insalubres, de ces 116 chambres … Une œuvre un peu à part certainement dans la production de Jorge Amado ; moins d’exubérance mais plutôt du réalisme sordide …