Né au bon moment : 1935-1975 de David Lodge

Né au bon moment : 1935-1975 de David Lodge
(Quite a good time to be born, a memoir, 1935-1975)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Poet75, le 17 décembre 2017 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans)
La note : 9 étoiles
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Passionnants souvenirs

Pétris de références à la culture anglaise et volontiers agrémentés de bonnes doses d’humour typiquement britannique, les romans de David Lodge n’en connaissent pas moins, depuis déjà bien des années, un grand succès parmi le lectorat français, ce qui révèle, si besoin est, que, derrière nos déclarations de façade, se dissimule chez nous un véritable intérêt, sinon une fascination, pour nos voisins d’Outre-Manche. Toujours est-il que l’auteur de « La Chute du British Museum » et de tant d’autres romans reste un écrivain très apprécié dans l’hexagone, ce qui ne manque pas d’ailleurs de provoquer sa surprise.
Tous les admirateurs du romancier (et critique littéraire) David Lodge se réjouissent donc d’en savoir un peu plus sur cet auteur grâce à la parution de ce premier volume de ses mémoires, volume couvrant les années 1935-1975. L’homme étant né en 1935 (le 28 janvier), on est en droit d’être étonné par le titre donné à l’ouvrage. Est-ce vraiment le bon moment pour naître, sachant que la guerre est toute proche et que, même tout petit, l’enfant en subit les conséquences ? Est-ce le bon moment pour naître que d’endurer les rigueurs d’une société britannique encore figée et stratifiée ? Est-ce le bon moment pour naître que de recevoir l’éducation rigide d’un enfant catholique d’avant Vatican II ? La vérité, c’est que, si David Lodge n’ignore aucune des limites ni des failles de son parcours de vie, il en sait aussi tous les bienfaits et qu’il demeure toujours capable d’apprécier davantage sa fortune plutôt que de se désoler sur ses quelques adversités.
Quoi qu’il en soit, ce livre de mémoires se lit avec autant de bonheur que la plupart des romans écrits par David Lodge. On découvre d’ailleurs, à ce sujet, non seulement combien tôt est né sa vocation d’écrivain mais aussi combien il a dû batailler, une fois arrivé à l’âge d’écrire, entre autres avec les éditeurs, pour pouvoir faire paraître ses ouvrages. Cela n’a pas été de tout repos, loin de là. Heureusement pour lui, David Lodge a exercé aussi une fonction d’enseignant qui lui a assuré une sécurité d’emploi et de salaire, d’autant plus à partir du moment où, après lui avoir fait une longue cour assidue, il s’est marié avec Mary et n’a pas tardé à avoir un premier enfant.
Je ne vais évidemment pas résumer tout le livre, ce qui serait terriblement oiseux, tant il abonde en notations de toutes sortes, en récits de rencontres, de voyages, en témoignages d’amitiés, en relations de travaux littéraires, etc. Mais il est un aspect qui, on ne s’en étonnera pas, m’a particulièrement intéressé, celui du rapport de l’auteur avec le catholicisme. Il est tout à fait passionnant, à mon avis, de refaire avec l’auteur tout le parcours qui l’a conduit progressivement à passer de l’éducation inflexible qui lui a été imposée, entre autres, dans les écoles catholiques où il fit ses études jusqu’à une prise de distance non seulement avec l’Église en tant qu’institution mais avec la foi qu’elle enseigne (ce que laisse entrevoir la toute fin de l’ouvrage et qui sera repris plus abondamment, sans nul doute, dans le volume suivant). David Lodge rappelle, à bon escient, de quelle façon insupportable l’Église d’avant Vatican II se croyait tenue de contrôler tous les aspects de la vie des fidèles par le moyen de la confession. Il note aussi (page 54) l’absurdité des croyances liées aux péchés ainsi que la pauvreté des enseignements religieux dispensés, à cette époque-là, y compris dans les établissements tenus par des religieux (page 89). Il est d’ailleurs aberrant de constater à quel point c’était la notion de péché qui pesait sur tous les aspects de la vie des catholiques, notion qui était au cœur du catéchisme lui-même, tel qu’il était enseigné (page 108). Et quand on disait « péché », il s’agissait presque exclusivement de tout ce qui touchait au sexe (autre aberration) ! À ce sujet, on notera jusqu’à quel point, en catholiques scrupuleux qu’ils étaient, David Lodge et sa femme ont observé les injonctions de l’Église concernant, de façon particulière, le contrôle des naissances (la fameuse méthode naturelle prônée par les prêtres n’étant, bien entendu, pas très fiable, c’est le moins qu’on puisse dire). Tout cela, l’écrivain l’a d’ailleurs abondamment repris et narré, non sans humour, dans certains de ses romans. David et Mary Lodge accueillirent avec joie la survenue du Concile Vatican II, mais furent bientôt amèrement déçus (et à juste titre), comme beaucoup d’autres catholiques de cette époque, par la sortie de l’encyclique « Humanae Vitae » (pages 413-414). On ne s’étonne donc pas de leur décision commune d’en finir avec la mainmise insupportable de l’Église sur l’intimité des couples quelque temps plus tard, après la naissance de leur troisième enfant, puis de leur engagement en faveur d’un renouveau de cette dernière (pages 519-520). Un cheminement qui fut partagé par beaucoup de catholiques de leur génération, mais dont il est passionnant de lire la trajectoire sous la plume d’un écrivain de talent.
Or du talent, David Lodge n’en manque pas, pas même pour pointer ses propres failles. Elles existent, bien sûr, mais ne nuisent aucunement aux qualités indéniables de chacun de ses romans. Quant à ce livre de mémoires, il se lit et se savoure précisément… comme un roman !

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