Saint Frédo
de Alphonse Boudard

critiqué par CC.RIDER, le 27 décembre 2017
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Un style inimitable
Alfred Friteau, « Frédo » pour les intimes, est un truand à l’ancienne qui a connu les maisons de correction, les prisons centrales et même le bagne. Au total, environ 25 années derrière les barreaux. Il a partagé quelques-unes de ses galères pénitentiaires avec l’auteur. C’est la raison pour laquelle il reprend contact avec lui bien des années plus tard. Alphonse est un auteur connu. Il fréquente même le milieu du cinéma. Frédo lui, s’est trouvé un petit boulot d’éducateur à Rouen. Il se consacre à la réhabilitation de jeunes voyous. Un curé s’intéresse à lui. Il va même jusqu’à lui confier la direction d’un centre de réinsertion en région parisienne. Quelques personnages haut placés s’extasient sur une aussi extraordinaire reconversion. En réalité, Frédo n’en a pas complètement terminé avec tous ses vieux démons…
« Saint Frédo » se présente plus comme un roman social que comme un roman noir ou policier. Il se situe plutôt aux limites des trois genres. Le personnage haut en couleur de ce gangster d’un autre temps, celui des « vrais hommes » avec leur code d’honneur que Boudard relativise d’ailleurs, mérite à lui seul d’occuper toute l’intrigue. Tour à tour braqueur, perceur de coffre-forts, fourgue et proxénète, il profite de son retour à la liberté pour mettre les bouchées doubles autant sur la boisson que sur la nourriture ou les femmes. Un vrai jouisseur libidineux, ce faux « saint » ! Un régal que cet ouvrage autant pour le regard malicieux et plein d’humour que pour le style inimitable, truffé d’argot, d’images cocasses, de trouvailles lexicales d’un auteur comme on en fait plus.
"Faut jamais affranchir les caves !" 10 étoiles

Alphonse Boudard (1925-2000) est un romancier et scénariste français.
Saint-Fredo sort en 1993 (Flammarion)

L'auteur qui a fréquenté pendant quelques années la même "université " que son héros; à savoir Fresnes-lès-Rungis...nous raconte la vie "post carcérale" de son ami Alfred Friteau, dit Frédo la Tringle.
Une reconversion après 21 ans de maison de correction et 14 années de "chtar", le défi semble insurmontable.
Une licence de voyou en poche, Mireille sa compagne amoureuse et dévouée, Alphonse (l'auteur) un ami, extirpé de la fiente châtimenteuse par les belles-lettres et Baudelaire, son agent de probation...vont le soutenir dans cette mission .
Frédo va donc à la pêche aux âmes avec une simplicité, un bonheur du geste et de l'expression évangélique. Un véritable Jean Valjean du XX e siècle. Un ex-bagnard, relégué devenu agent de l'Administration pénitentiaire. ça tournait tout à fait Vidocq son épopée.
Entre bonnes oeuvres et coups fourrés, Frédo surfe sur une ligne de démarcation mouvante. Son passé n'est jamais très loin et les réflexes ne disparaissent pas en quelques années.
" Y a des romans qui finissent bien. Le baiser nuptial... on lance aux mariés des pétales de roses, des dragées.. les cloches sonnent.. eurent beaucoup d'enfants.
J'ai l'air de quoi, moi, en vous finissant mon histoire à la morgue. Je rabats la joie, ma femme, ça y est ! mais puisqu'il est de bon ton de se proclamer lucide, n'est ce pas...lucide, alors, c'est les funérailles."

Vous l'avez compris, Alphonse Boudard rend un vibrant hommage aux "caves", aux rescapés du mitard.
Une langue fleurie, des tirades à la Audiard, des bourre-pifs pour régler les litiges.
Une époque révolue où les psy, les féministes et autres intellos de tous bords étaient renvoyés dans leurs 18 mètres quand ils la ramenaient de trop .
On imagine facilement Gabin, Ventura, Blier et toute la clique incarner les personnages de Boudard.
Mais derrière la rigolade et la mitraille, l'auteur brosse une fine étude de la société et des observations qui auraient le droit de citer aujourd'hui .
Un incroyable moment de littérature que je ne peux que vous engager à découvrir .

Frunny - PARIS - 59 ans - 24 mars 2024