Cette France qu'on oublie d'aimer
de Andreï Makine

critiqué par CC.RIDER, le 1 janvier 2018
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Notre pays vu par un immigré russe honnête et cultivé
Une dalle usée par des générations et des générations de fidèles sur le seuil d’une petite église de Saintonge… Sur un monument aux morts de la guerre de 14, une inscription comportant plusieurs noms de la même famille… Des chevaliers sans peur et sans reproche qui, un jour, troquent leurs heaumes et leurs armures contre des perruques poudrées… Un hélicoptère qui patrouille dans le ciel d’une banlieue embrasée du côté d'Aulnay sous Bois… La gastronomie, plus la mode, plus l’impressionnisme, plus le french kiss, plus Chambord, plus Valmy, plus les grèves à répétition, plus… Est-ce bien ça la France ? Ou ce qu’en disait le très regretté Pierre Daninos : « Bon sens : exclusivité française, avec l’élégance, l’esprit, la galanterie et, d’une façon générale, le génie. »
« Cette France qu’on oublie d’aimer » est un ouvrage fort difficile à classer dans une catégorie. Ce n’est pas un essai, l’auteur est trop rêveur et trop poète pour s’être laissé emberlificoter dans des chiffres et des statistiques. Ce n’est pas non plus un pamphlet, Makine a trop d’empathie, d’amour et de douceur pour son pays d’accueil pour se laisser aller à des vitupérations de bateleur d’estrade. Non, avec intelligence et finesse, il s’interroge simplement sur ce que peut bien être (ou a bien pu être) l’esprit et le génie français. Comment un peuple aussi spirituel et intelligent a pu tomber aussi bas ? Comment a-t-il pu se laisser enfermer dans les rets vicieux du politiquement correct ? Comment a-t-il été assez lâche pour avoir laissé s’effriter sa liberté, sa laïcité, ses bonnes manières. La conclusion est sans appel. Il est temps de se ressaisir, de rappeler quelques vérités de bon sens à nos « élites » et à nos chers invités. Un texte court et magnifique d’autant plus convaincant qu’il ne provient pas d’un Français de souche lambda mais d’un immigré russe honnête et cultivé, une des meilleures plumes de notre littérature, excusez du peu !
Rome n’est plus dans Rome. 7 étoiles

Pauvre, pauvre Andreï Makine ! Ce Russe qui aime la France apprend qu’il existe dans son pays d’adoption des sujets dont on ne peut pas parler. Comme en Russie ! Les Français pratiquent l’auto-censure et ont adopté le « politiquement correct ». On ne peut pas parler de l’immigration, des jeunes des banlieues, du communautarisme, de la montée de l’islam en France… Alors, il se demande : où sont donc les Voltaire, De Gaulle, Clemenceau, Camus, Bernanos et autres débatteurs de haut vol qui ont fait rayonner l’esprit français à travers le monde ?

Il a intitulé son livre : La France qu’on oublie d’aimer. Il aurait dû l’intituler : La France qu’on ne peut plus aimer. Pour nous, qui aimons la France, la douce France de nos vacances, c’est la même constatation, la même consternation ! Pour moi, toutes les constatations pessimistes étalées dans ce livre sont d’une évidence absolue et ma vanité s’en est sentie flattée en voyant que des grands esprits pensaient comme moi.

Il faut ajouter que la décadence dont il est question dans ce livre, et qui sent la fin d’une civilisation, n’existe pas qu’en France, elle est la même en Belgique et dans tous les pays d’Europe occidentale.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 2 mars 2022


Nostalgie d'une France forte et rayonnante 8 étoiles

Cet essai d'Andreï Makine repose sur cette France qu'il aime tant, celle de Voltaire, réputée pour son souffle de liberté, son courage et sa langue franche et claire. Il évoque au début de son oeuvre un Monument aux Morts qui porte le nom de français qui ont combattu pour la nation, ensuite des figures littéraires qui ont construit cette image cristallisée de la France, ce pays des droits de l'Homme et des Lumières. Il mentionne aussi des porpos et des points de vue sur ce pays émis par des figures historiques et écrivains russes. C'est ensuite la bien-pensance qui occupe l'esprit de Makine et cette hypocrisie qui envahit un grand nombre de personnes, incapables de dire ce qu'elle pense car l'épée de Damoclès de la morale est là. Il regrette qu'au XVIIIème siècle on osait dire ce que l'on pense et qu'aujourd'hui on se l'interdise. Il finira par évoquer les jeunes de banlieue et le peu de reconnaissance de ceux-ci vis-à-vis du pays qui les accueille. Je ne fais que restituer ses idées sans émettre de jugement.
Le dernier chapitre est adressé directement au futur président, une sorte de cahier des charges concis.

L'essai est très bien construit. Les arguments s'enchaînent avec aisance et convergent vers cette remarque finale qui pourra agacer ou satisfaire. Ce qui permet de relativiser ce point de vue est le fait que Makine a quitté son pays pour vivre en France et est très reconnaissant. Ce n'est pas un français réactionnaire qui s'insurge. Il aime profondément notre pays, le sien désormais aussi, il est passionné par cette langue façonnée par les plus grands auteurs et ne comprend pas le manque de gratitude d'une certaine partie des immigrés. La quatrième de couverture de l'édition poche se focalise sur le fait que l'auteur rend "un vibrant hommage" à cette "France superbe et féconde", je nuancerais volontiers ces propos. Oui, il déclare son amour à ce pays, pas exactement la France d'aujourd'hui qui a certaines failles qu'il faudrait régler. Il peut se montrer aussi critique. Ce n'est donc pas purement un éloge. Le ton est parfois polémique ce qui montre bien le caractère engagé de ce texte. A la manière de Montaigne, dont les idées sont différentes, il s'appuie sur de nombreux exemples afin d'appuyer ses dires.

Andreï Makine évoque souvent la liberté de ton de Voltaire, et c'est bien cette tonalité et cette forme qu'il utilise dans son texte. La forme reflète le fond et les auteurs qui le séduisent. Dans "De l'horrible danger de la lecture", Voltaire avec son ironie marque les esprits et secoue son lectorat, Makine fait un petit peu la même chose en privilégiant un discours explicite, donc peu ironique. On peut ne pas être d'accord avec ses idées et sa réflexion sur les jeunes des banlieues, il n'en demeure pas moins qu'il a le courage de dire ce qu'il pense et de justifier ses affirmations. Il cherche à réveiller un peuple endormi qui a oublié la grandeur passée de la France. On sent l'envie de l'auteur de retrouver ce pays littéraire des Lumières qui l'a séduit. Une France tiède ne l'intéresse pas. Il faut renouer avec cette France grande qui est encore présente dans l'imaginaire mondial. Le fait d'évoquer ces jeunes frères morts pour la France rappelle au lecteur que de jeunes hommes se sont battus pour ce pays contrairement à d'autres qui la salissent. Est-ce vraiment ce dernier point qui fait que la France a moins de prestige ?

Pucksimberg - Toulon - 45 ans - 13 janvier 2018